Brazzaville s’éveille au rythme bolivarien
Sur la terrasse ombragée du ministère congolais de l’Industrie culturelle, les trois tam-tams vénézuéliens scintillent sous le soleil, symboles d’un don qui a réuni diplomates, artistes et responsables gouvernementaux autour d’un même tempo.
La cérémonie, discrète mais chargée de chaleur, a été présidée par la ministre Marie-France Hélène Lydie Pongault, attentive à chaque battement sur ces peaux tendues qui promettent d’accompagner désormais nombre d’événements officiels et populaires à Brazzaville.
Laura Suarez Evangelia, ambassadrice du Venezuela, a remis l’instrumentarium sans discours protocolaire pesant, préférant rappeler l’importance « d’un dialogue par le rythme » susceptible de toucher les cœurs plus vite que ne le font parfois les communiqués diplomatiques.
Le don n’a pas seulement livré trois tambours, il a offert une histoire de voyages forcés, de métissages et de résilience inscrite dans chaque coup de baguette, rappelant la trajectoire complexe des diasporas africaines des Caraïbes.
Un héritage commun entre deux rives de l’Atlantique
Au Venezuela, ces tambours familiaux, parfois appelés quitiplás ou mina selon les régions, sont frappés lors des fêtes de San Juan, une tradition d’origine bantoue arrivée avec les captifs débarqués à Barlovento au XVIIᵉ siècle.
Pour la diplomate, « nous avons le même sang et le même rythme », remarque qu’appuient des études ethnomusicologiques montrant des signatures sonores presque identiques entre percussions congolaises et séquences vénézuéliennes, notamment dans l’alternance binaire-ternaire.
Le musicologue brazzavillois Florent Gouanga rappelle que « la peau de chèvre tendue sur du manguier sonne pareil, traverse l’océan et retrouve la même vibration », soulignant ainsi la continuité des savoir-faire malgré des siècles de séparation.
En offrant ces tam-tams, Caracas rappelle son appartenance à l’écosystème culturel afro-descendant et inscrit sa diplomatie dans une logique d’échanges horizontaux, privilégiant la résonance symbolique plutôt qu’une simple projection d’influence.
Le Fespam, pivot d’une diplomatie culturelle
Le Festival panafricain de musique, relancé en grande pompe du 19 au 26 juillet, a servi de creuset à cette rencontre inattendue entre le groupe vénézuélien Madera et plusieurs ensembles congolais.
Sur scène, les harmonies de cuivres caribéens se sont fondues sans peine aux polyrythmies du ndombolo, suscitant des ovations nourries dans la salle André-Blou, où les délégations étrangères louaient l’organisation rigoureuse pilotée par les autorités.
En marge des concerts, des ateliers de lutherie ont permis aux musiciens de démonter les fûts, comparer les essences de bois et convenir d’une résidence croisée en 2025, projet déjà inscrit sur l’agenda culturel bilatéral.
Pour beaucoup d’analystes, le Fespam confirme la stratégie congolaise consistant à faire de la culture un instrument d’influence douce, complémentaire des grands chantiers d’infrastructures mis en avant dans le Plan national de développement.
Les bénéficiaires congolais bientôt sur le devant de la scène
Parallèlement au don officiel, deux ensembles locaux se sont vu remettre des tambours supplémentaires : le Village d’enfants Cardinal Emile Biayenda et l’association Tam-tam sans frontière, réputée pour ses spectacles inclusifs mêlant danseurs sourds et musiciens valides.
Jean Didier Mayembo, promoteur de l’orphelinat, voit dans ce geste « une alliance qui offre aux enfants un pont vers le monde », arguant qu’un simple battement de bois peut parfois ouvrir des bourses d’études ou des tournées.
Du côté de Tam-tam sans frontière, Sandra Dihoulou se réjouit d’enrichir le répertoire du groupe avec des modèles « plus aigus, donc plus faciles à superposer », une avancée technique qui pourrait séduire les festivals européens.
Le ministère envisage d’ailleurs de laisser ces formations ouvrir les cérémonies officielles du 15 août, fête nationale, offrant ainsi une vitrine immédiate au résultat tangible de la coopération sud-sud engagée avec Caracas.
Enjeux pour l’industrie créative et touristique
L’entrée de nouveaux instruments sur le marché local entretient une dynamique économique discrète : luthiers, décorateurs et techniciens son voient leurs carnets de commandes s’allonger, stimulés par la perspective de produire des répliques adaptées aux scènes contemporaines.
La ministre Pongault insiste sur « la filière musique » inscrite dans la stratégie de diversification, citant l’exemple de Pointe-Noire où le tourisme balnéaire se double d’ateliers percussions prisés des croisiéristes en escale.
À moyen terme, la flotte Air Côtiers prévoit une campagne promotionnelle autour d’un « pass musical » reliant Caracas, Libreville et Brazzaville, manière d’adosser la connectivité aérienne à un récit culturel fédérateur, selon un responsable de la compagnie.
Les bailleurs internationaux, conscients du potentiel du continent créatif, suivent le dossier ; la Banque africaine de développement a récemment évoqué la possibilité d’un fonds de garantie pour les petites entreprises culturelles nées dans l’écosystème Fespam.
À plus long terme, les autorités envisagent de soumettre le savoir-faire des tam-tams partagés au patrimoine immatériel de l’Unesco, dossier qui exigerait une candidature conjointe Congo-Venezuela susceptible de renforcer encore la visibilité internationale des deux pays.
Une résonance prometteuse pour les jeunes
Dans les quartiers de Makélékélé, des beatmakers écoutent déjà les enregistrements des tambours vénézuéliens pour les sampler sur des tracks afro-trap.
Ils espèrent ainsi conquérir les plateformes de streaming, preuve que la diplomatie culturelle peut trouver un relais inattendu dans les studios improvisés des périphéries urbaines.