Caracas au cœur d’un débat essentiel
Le dernier week-end de juillet, la capitale vénézuélienne a accueilli le Forum « Voix du nouveau monde », rendez-vous inédit centré sur l’équité médiatique. Durant quarante-huit heures, Caracas s’est voulue carrefour des idées et des expériences portées par le Sud global.
Selon les organisateurs, plus de 120 journalistes et communicateurs issus de 50 nations ont répondu présent. Le Congo-Brazzaville figurait parmi les délégations, témoignant de l’intérêt croissant porté, à Brazzaville comme ailleurs, à la défense d’un droit fondamental : raconter soi-même son histoire.
Pourquoi le Sud global réclame sa voix
Le concept de Sud global résulte des études décoloniales, rappelant que les séquelles de la colonisation structurent encore économies et cultures. Pour de nombreux intervenants, cette mémoire explique les angles souvent réducteurs adoptés par certains grands conglomérats médiatiques.
« Nous ne pouvons plus laisser d’autres parler à notre place », a insisté la reporter vénézuélienne María Fernández, saluée par l’assemblée. Partagée par plusieurs journalistes congolais, cette conviction nourrit l’idée qu’une information vérifiée doit aussi être contextualisée par celles et ceux qui vivent les réalités racontées.
Naissance d’une Alliance pour l’ère numérique
Moment fort du forum, le lancement de l’Alliance des journalistes du Sud global vise à fédérer des rédactions dispersées sur trois continents. Le réseau s’engage à fournir des contenus véridiques, défendre la souveraineté et promouvoir la justice sociale, sans dépendance extérieure.
Les participants ont dénoncé la censure algorithmique et les biais commerciaux de certaines plateformes numériques, accusées d’occuper une position d’arbitre. L’Alliance entend donc créer ses propres outils technologiques, mutualiser des bases de données et instaurer des protocoles de vérification partagés.
« Une telle coopération renforcera la transparence et la confiance des publics », a expliqué Joseph Mabiala, chroniqueur culturel basé à Pointe-Noire, qui voit dans cette initiative « une réponse pragmatique à la désinformation transfrontalière ».
Le rôle central des médias congolais
Au Congo, les rédactions locales accueillent favorablement cette dynamique. Depuis la loi de 2019 facilitant l’accès à l’information, plusieurs radios communautaires se sont modernisées. Leur adhésion future à l’Alliance pourrait accélérer la diffusion de contenus originaux sur l’écologie du bassin du Congo ou les innovations sociales à Brazzaville.
Le directeur d’un quotidien privé brazzavillois rappelle que « la jeunesse attend des formats innovants, capables de traiter l’actualité nationale sans filtre extérieur mais avec rigueur ». Dans cette perspective, l’expérience partagée à Caracas sert de laboratoire pour adapter les méthodes fact-checking aux réalités congolaises.
Enjeux géopolitiques et diplomatie douce
Au-delà des rédactions, la question médiatique devient un levier diplomatique. Plusieurs gouvernements d’Amérique latine et d’Afrique australe ont salué la déclaration finale, y voyant un outil de coopération Sud-Sud complémentaire des forums économiques existants.
Brazzaville, déjà hôte régulier de rencontres culturelles panafricaines, pourrait proposer une session décentralisée de l’Alliance. D’après un consultant régional, « cette visibilité renforcerait l’image d’un Congo stable et ouvert, soucieux de valoriser sa créativité et sa presse émergente ».
Défis pour la nouvelle génération
La révolution numérique impose toutefois un apprentissage rapide. Cyber-sécurité, éthique de l’intelligence artificielle et protection des sources figurent parmi les modules élaborés par le comité scientifique du forum. Des webinaires multilingues sont annoncés pour septembre.
Pour Grâce Ngoma, étudiante en journalisme à l’Université Marien-Ngouabi, « être membre d’un réseau mondial n’a de sens que si nous produisons des histoires pertinentes pour nos quartiers ». Elle espère un mentoring Sud-Sud qui lui éviterait les stages lointains souvent coûteux.
Perspectives économiques et modèles viables
Créer un média durable implique aussi un financement responsable. À Caracas, plusieurs start-ups africaines ont présenté des plateformes basées sur des abonnements mobiles micro-facturés, déjà testés au Ghana et au Kenya. Les délégués congolais souhaitent adapter ce modèle au marché local des fintechs.
Le responsable d’une régie publicitaire de la place Marché Total souligne que « la publicité programmatique peut soutenir les titres indépendants si elle respecte des critères de transparence ». L’Alliance compte publier un baromètre semestriel des sources de revenus, outil précieux pour attirer investisseurs et lecteurs.
Le pari d’une information partagée
La charte de l’Alliance insiste sur la mise en commun de reportages, traduits en espagnol, français, anglais, swahili et lingala. Une rubrique sur la biodiversité tropicale, co-éditée par des journalistes congolais et amazoniens, devrait voir le jour avant fin 2024.
En filigrane, c’est la conviction qu’un récit équilibré du Sud global sert la paix. Comme l’a résumé un intervenant sénégalais, « comprendre l’autre commence par l’écouter ». Caracas aura sans doute marqué une étape, mais la page à écrire dépend désormais de chaque salle de rédaction.