De Washington à Brazza, la fin d’une époque pour la diplomatie du développement
La décision, actée par un décret présidentiel et paraphée par le secrétaire d’État Marco Rubio, scelle la disparition d’une institution qui, depuis 1961, incarnait la facette humanitaire de la puissance américaine. En transférant ses prérogatives au département d’État, Washington signale un recentrage de son action extérieure sur des critères explicitement corrélés à la sécurité nationale et aux intérêts économiques des États-Unis. L’Afrique, destinataire de 6,5 milliards de dollars de subventions USAID en 2024, se trouve au premier rang des régions concernées. À Brazzaville comme à Addis-Abeba, diplomates et responsables gouvernementaux évaluent désormais les retombées concrètes de ce basculement institutionnel.
La doctrine Rubio : efficacité ou simple recentrage stratégique ?
Devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, Marco Rubio a justifié l’intégration d’USAID par le « besoin d’une chaîne de commandement unique, capable d’aligner chaque dollar engagé sur une finalité stratégique mesurable ». L’argument épouse une rhétorique d’efficacité qui n’est pas sans rappeler les débats internes à plusieurs chancelleries africaines sur la rationalisation de l’aide (Rapport OCDE 2023). Les sceptiques soulignent toutefois qu’un recalibrage aussi abrupt pourrait affaiblir des programmes devenus emblématiques, à l’instar de Feed the Future ou du President’s Malaria Initiative. Les promoteurs de la réforme, eux, invoquent la promesse d’une diplomatie économique plus lisible, susceptible de mobiliser le secteur privé au-delà de la générosité publique.
Conséquences sanitaires et éducatives en Afrique subsaharienne
Une modélisation publiée par The Lancet estime à 14 millions le nombre de vies susceptibles d’être impactées d’ici 2030, dont 4,5 millions d’enfants de moins de cinq ans, si les financements ne sont pas compensés. Les ministères de la Santé d’Afrique centrale rappellent que 35 % des moustiquaires imprégnées distribuées depuis 2015 l’ont été grâce à des fonds USAID. Dans le domaine éducatif, les programmes de lecture précoce avaient atteint, en République du Congo, un taux de couverture de 48 % des écoles primaires publiques en milieu rural, selon des données partagées par le PNUD. L’incertitude budgétaire qui s’ouvre interroge la soutenabilité de ces avancées, même si l’engagement déclaré d’autres bailleurs, tels la Banque islamique de développement, pourrait amortir le choc.
Vers un tournant des partenariats publics-privés africains
Au récent U.S.–Africa Business Summit de Dallas, le président angolais João Lourenço a lancé, sous les applaudissements mesurés de la salle, « l’heure est venue de remplacer la logique de l’aide par l’ambition de l’investissement ». Cette formule, devenue virale sur les réseaux diplomatiques, résonne avec la vision portée par plusieurs capitales africaines : attirer davantage de capitaux privés, mais selon des termes négociés d’égal à égal. Les chambres de commerce congolaises soulignent, par exemple, le potentiel inexploité des zones économiques spéciales de Pointe-Noire, prêtes à accueillir des joint-ventures agro-industrielles dans une logique de substitution aux importations.
Le Congo-Brazzaville face à de nouvelles marges de manœuvre
Pour Brazzaville, la fermeture d’USAID intervient dans un contexte de diversification diplomatique déjà amorcé. Des initiatives telles que le Fonds bleu pour le bassin du Congo, soutenues par la Commission économique pour l’Afrique, témoignent de la capacité du pays à fédérer des partenaires multiples autour de priorités climatiques et de développement durable. Un conseiller du ministre des Affaires étrangères confie, sous couvert d’anonymat, que « l’évolution américaine consolide en réalité notre stratégie de démultiplication des alliances, sans remettre en cause l’excellence des relations bilatérales ». Les autorités misent sur une articulation plus fine entre financements multilatéraux et investissements directs, afin de préserver les programmes sociaux essentiels tout en stimulant la transformation locale.
Perspectives multilatérales et recomposition globale de l’aide
La Banque mondiale, le Fonds mondial et l’Union européenne se disent prêts à analyser les éventuels déficits de financement, mais insistent sur la nécessité d’une coordination renforcée pour éviter doublons et lacunes. La fermeture d’USAID pourrait également accélérer la montée en puissance de nouveaux acteurs, tels que la Chine ou le Golfe, déjà très présents dans les infrastructures et l’énergie. Pour les diplomates africains, l’enjeu consiste à tirer parti d’un marché de l’aide devenu plus concurrentiel, sans compromettre la souveraineté des choix nationaux. Le secrétaire général de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale résume le sentiment général : « Le vide n’existe jamais en géopolitique ; il appartient à l’Afrique de négocier la suite ».
Ainsi, le retrait d’USAID n’annonce pas la fin de la coopération, mais la réinvention de ses mécanismes. Les capitales africaines disposent d’une fenêtre stratégique pour redéfinir leurs priorités, attirer des investissements alignés sur leurs plans nationaux et approfondir l’intégration régionale. À condition de s’appuyer sur des institutions robustes et sur une diplomatie économique proactive, la transition peut devenir une opportunité plutôt qu’un recul.