Brazzaville mise sur la diplomatie culturelle
Rarement le Palais du Peuple n’avait réuni autant de portefeuilles ministériels autour d’une même feuille de route. Au lendemain d’une tournée éclair sur trois continents, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso est venu, dossier sous le bras, rendre compte au chef de l’État Denis Sassou Nguesso des premiers jalons posés en faveur de Firmin Édouard Matoko. À travers cette candidature, le Congo-Brazzaville entend traduire en acte la notion, souvent invoquée, mais rarement illustrée, de diplomatie culturelle. Selon un conseiller présent lors de l’audience, « le président a rappelé que la force tranquille d’un pays se mesure aussi à la qualité de ses ambassadeurs invisibles – l’éducation, la science et la culture ».
Matoko, un profil « maison » pour l’Unesco
Entré à l’Unesco il y a plus de trois décennies, Firmin Édouard Matoko n’est pas un inconnu des couloirs de la Rue Miollis. Directeur adjoint pour l’éducation, l’homme a piloté des programmes aussi emblématiques que l’Initiative mondiale pour l’alphabétisation ou la restitution du patrimoine africain. Cette longévité institutionnelle nourrit l’argumentaire congolais : « Il connaît l’Organisation comme on connaît sa maison familiale », insiste Anatole Collinet Makosso, soulignant un équilibre entre expertise technique et sens politique. Dans un contexte où l’Unesco cherche à renforcer sa visibilité, un profil aguerri promet, selon Brazzaville, « une continuité apaisée plutôt qu’une rupture spectaculaire ».
Une campagne d’influence continentale et mondiale
Depuis l’ouverture officielle de la période de sollicitation, en avril, la délégation congolaise a frappé à plus de cinquante chancelleries, de Pretoria à Brasília, de New Delhi à Oslo. Ce tour du monde diplomatique, minuté comme une opération militaire, vise à labourer les 58 électeurs du Conseil exécutif appelé à trancher en octobre. Derrière les poignées de main, le discours reste simple : la représentation africaine à la tête d’une agence onusienne clé renforcerait la voix du Sud Global dans la gouvernance multilatérale. « Nous n’achetons pas des votes, nous exposons une compétence », assure un diplomate congolais, revendiquant une transparence de méthode appréciée, dit-il, par plusieurs partenaires européens.
Calendrier et enjeux procéduraux
Le dépôt des candidatures s’est clos le 31 mars 2025, conformément aux statuts de l’Organisation. Brazzaville rappelle, document à l’appui, que son dossier est arrivé « ni trop tôt, ni trop tard ». Pour le Premier ministre, l’enjeu est d’éteindre toute polémique sur un prétendu retard congolais : « L’Unesco juge la ponctualité administrative, pas l’empressement médiatique ». De fait, la campagne ne peut légalement commencer qu’après vérification de recevabilité. Au-delà de la conformité, il s’agit d’envoyer un message de sérieux procédural, atout non négligeable face à des concurrents rompus à la diplomatie multilatérale.
L’unité africaine à l’épreuve des ambitions
Trois figures subsahariennes briguent le fauteuil laissé vacant, une configuration qui nourrit parfois la chronique d’une division continentale. Brazzaville réfute l’idée d’une candidature « de trop ». « L’Unesco n’est pas une agence régionale, elle appartient à la communauté des nations », rappelle un membre de la délégation. Derrière la rhétorique, la bataille des soutiens reste cependant serrée : certains partenaires misent sur la règle non écrite d’une rotation géographique, d’autres privilégient les alliances historiques. Observateurs à Addis-Abeba et à New York scrutent déjà les capacités de médiation que le Congo pourrait offrir pour rallier, in fine, une majorité africaine au second tour.
Perspectives pour le soft power congolais
Au-delà du résultat d’octobre, les autorités congolaises voient dans cette offensive une étape fondatrice d’un soft power national encore balbutiant. Investir le champ multilatéral permettrait de diversifier une image souvent réduite à sa manne pétrolière. Sur les bords du fleuve Congo, étudiants et entrepreneurs culturels suivent la campagne avec un mélange de fierté et d’attente pragmatique : une élection victorieuse ouvrirait-elle des passerelles vers plus de bourses, de programmes jeunesse ou de chantiers patrimoniaux ? « La valeur d’un symbole se mesure à l’impact concret sur le quotidien », nuance l’économiste Tania Bikindou. Pour l’heure, l’agenda diplomatique poursuit son cours, tandis que Brazzaville affine ses arguments, convaincue que la culture reste, dans la compétition des nations, une forme raffinée de puissance tranquille.