Offensive diplomatique congolaise en Amérique latine
Le Congo-Brazzaville accélère son offensive diplomatique en Amérique latine pour faire élire Firmin Édouard Matoko à la tête de l’Unesco. Après une escale constructive au Chili, la délégation conduite par le ministre d’État Pierre Mabiala vient de marquer une pause décisive à Asunción, capitale du Paraguay.
Reçue au ministère paraguayen des Affaires étrangères, la mission congolaise a présenté les arguments clés de la candidature, insistant sur l’expérience de Matoko et sa proximité avec les défis éducatifs globaux. Les deux parties ont affiché un souci commun d’intensifier les échanges bilatéraux.
Étape stratégique à Asunción
Selon le chef de la diplomatie paraguayenne, Ruben Ramirez Lezcano, « l’Unesco a besoin de dirigeants capables de fédérer et d’innover ». Évoquant le parcours de l’ancien sous-directeur général, il a jugé que le candidat congolais incarne « une expertise et une ouverture appréciables pour l’hémisphère Sud ».
Au nom du président Denis Sassou Nguesso, Pierre Mabiala a remis une lettre personnelle destinée à son homologue paraguayen, Santiago Peña. Le message souligne la volonté de bâtir une alliance active au sein des institutions multilatérales et appelle Asunción à soutenir la vision « Unesco 2030 » portée par Matoko.
En marge de l’audience officielle, le ministre d’État a échangé avec plusieurs parlementaires paraguayens afin de présenter les retombées possibles d’une direction congolaise à l’Unesco, notamment sur les programmes culturels en Amérique latine et en Afrique. Les élus ont salué l’approche inclusive proposée.
Profil et vision de Firmin Édouard Matoko
Âgé de 63 ans, l’ancien cadre supérieur de l’Unesco est connu pour avoir dirigé les Programmes éducatifs pour l’Afrique entre 2010 et 2018. À ce poste, il a promu la numérisation pédagogique et les partenariats avec le secteur privé, deux axes qu’il compte élargir s’il est élu Directeur général.
Son équipe met également en avant son attachement à la préservation du patrimoine, illustré par le dossier ayant abouti à l’inscription du parc national de Nouabalé-Ndoki sur la Liste du patrimoine mondial en 2012. Cette expérience offre, selon eux, des garanties pour une gouvernance sensible aux enjeux climatiques.
Interrogé depuis Paris, l’universitaire brésilien Luiz Carlos Teixeira estime que « la candidature Matoko résonne particulièrement dans le Sud global, où l’on attend une Unesco moins centrée sur l’Europe ». Pour lui, la tournée engagée par Brazzaville « contribue à rendre visible cette aspiration ».
Enjeux pour la coopération Congo–Amérique latine
Si l’élection est acquise, plusieurs programmes pilotes pourraient associer écoles congolaises et paraguayennes, notamment dans la formation numérique des enseignants ruraux. Le ministère paraguayen de l’Éducation s’est déjà déclaré prêt à partager ses plateformes e-learning, ouvertes récemment avec le soutien de la Banque interaméricaine de développement.
Du côté économique, Brazzaville voit dans cette campagne l’occasion d’élargir sa diplomatie des infrastructures. Au Chili comme au Paraguay, Pierre Mabiala a évoqué la future liaison aérienne transatlantique qui relierait Pointe-Noire à Santiago avec une escale à São Paulo, créant de nouvelles routes pour étudiants et entrepreneurs.
Pour l’analyste paraguayen Rogelio Gómez, cette ouverture vers l’Atlantique Sud « s’inscrit dans une logique gagnant-gagnant ». Le Congo affirme sa place de hub régional, le Cône Sud sécurise un accès plus direct au golfe de Guinée, et l’Unesco gagne un dirigeant capable de dialoguer avec ces pôles émergents.
Calendrier et prochaines escales de la tournée
La délégation doit rejoindre Buenos Aires d’ici la fin de semaine pour rencontrer la ministre argentine des Affaires étrangères, Diana Mondino, ainsi que des représentants de la communauté africaine. Des passages à Montevideo et La Havane sont évoqués, sous réserve de confirmation logistique.
Selon le calendrier fixé par l’Unesco, la liste finale des candidats doit être transmise au Conseil exécutif en avril prochain avant un vote prévu en novembre 2025. D’ici là, Brazzaville compte mobiliser son réseau diplomatique sur les cinq continents, tout en misant sur l’appui de l’Union africaine.
Regards croisés d’experts et d’observateurs
Pour l’expert congolais en relations internationales Jean-Jules Kala, la tournée en Amérique latine traduit « un repositionnement géostratégique du Congo qui, sans renier ses partenaires historiques, investit de nouveaux espaces d’influence ». Il juge prudent de « consolider rapidement ces soutiens afin de créer une dynamique régionale ».
À Paris, la professeure de politique éducative Marion Espiguette observe qu’« une direction venue d’Afrique centrale serait une première, avec un signal fort sur la place des innovations francophones ». Elle rappelle toutefois que les candidatures asiatiques s’organisent et que « chaque voix comptera lors du second tour ».
En attendant, Firmin Édouard Matoko poursuit des consultations discrètes auprès des États insulaires et des pays nordiques, tandis que la diplomatie congolaise mise sur une communication numérique ciblée. Le ministère des Affaires étrangères prévoit de lancer un portail multilingue afin de rendre publique la feuille de route du candidat.
Les prochains mois diront si cette mobilisation sud-sud porte ses fruits. Pour l’heure, la réception chaleureuse d’Asunción conforte Brazzaville dans sa stratégie: multiplier les ponts culturels et techniques pour convaincre les 193 États membres qu’un directeur général venu du Congo peut incarner l’Unesco du futur.