Bangui, nouveau carrefour financier régional
La rumeur courait dans les couloirs feutrés du Caucus Africain 2025 : Bangui veut se hisser au rang de place financière sous-régionale. En recevant Tony Elumelu, président du groupe United Bank for Africa, le chef de l’État centrafricain Faustin-Archange Touadéra a franchi un cap symbolique. L’invitation adressée à la banque panafricaine vise d’abord à rompre l’isolement relatif d’un système bancaire limité à quatre établissements. Dans un pays où le taux de bancarisation demeure inférieur à 15 %, l’arrivée d’un acteur disposant d’un réseau de plus de vingt points en Afrique subsaharienne pourrait enclencher un changement d’échelle tant attendu.
UBA et la CEMAC : un réseau à géométrie stratégique
Le groupe fondé à Lagos ne débarquerait pas en terrain inconnu. Présent au Cameroun, au Tchad, au Gabon et au Congo-Brazzaville, UBA a appris à composer avec les exigences prudentielles de la Banque des États de l’Afrique centrale. À Brazzaville, où l’institution opère depuis 2006, les autorités monétaires saluent régulièrement « une discipline de marché de référence », pour reprendre les termes d’un récent communiqué de la Commission bancaire. L’expérience congolaise, portée par un environnement macroéconomique désormais stabilisé, sert de laboratoire : gestion rigoureuse du risque de change, digitalisation des canaux de paiement et implication dans la finance durable ont renforcé la crédibilité du modèle. Cette trajectoire conforte les dirigeants centrafricains dans leur conviction que l’implantation d’UBA peut accélérer, sans heurts, la modernisation d’un appareil financier encore embryonnaire.
Entrepreneuriat et inclusion financière : l’effet catalyseur espéré
Selon les derniers chiffres de la BEAC, le volume de crédits accordés en Centrafrique a bondi de 26,47 % entre le troisième trimestre 2023 et la même période de 2024. La progression reste néanmoins concentrée sur les grandes entreprises, laissant les PME avec moins de 14 % du financement global. Or, ces PME génèrent à elles seules près de 80 % des emplois formels du pays. UBA, forte de son programme « SME Banking » mis en œuvre à Pointe-Noire et Douala, promet de rééquilibrer la donne. Les responsables du groupe insistent sur la capacité de leur plateforme numérique à réduire de plus de 40 % le délai d’obtention de micro-crédits, un atout de taille pour les jeunes créateurs d’entreprise opérant en zone semi-urbaine ou rurale.
La Fondation Tony Elumelu, levier de soft power économique
Le dispositif financier n’est qu’une partie d’un écosystème plus vaste. Depuis 2010, la Fondation Tony Elumelu a soutenu plus de 24 000 entrepreneurs africains, dont 23 en Centrafrique et plusieurs centaines au Congo-Brazzaville. Les bénéficiaires reçoivent une formation en gestion, un mentorat individualisé et un capital-amorçage de 5 000 dollars. « Notre objectif est de faire émerger une génération d’Afro-capitalistes », confiait récemment M. Elumelu en marge du Forum de Paris sur la Paix. L’implantation d’UBA à Bangui faciliterait le décaissement de ces fonds dans la monnaie locale, réduisant ainsi les coûts de conversion et les risques de volatilité pour les porteurs de projets.
Un jeu d’équilibres géopolitiques sous surveillance
Au-delà des chiffres, le dossier comporte une dimension diplomatique. L’espace CEMAC, longtemps dominé par des banques d’origine européenne ou maghrébine, voit émerger un acteur à capitaux largement africains. Pour Brazzaville, qui préside cette année la Conférence des chefs d’État de la CEMAC, l’expansion d’UBA est perçue comme une avancée concrète vers l’intégration financière régionale. Le président Denis Sassou Nguesso avait d’ailleurs rappelé, lors du dernier sommet de Douala, la nécessité de « créer des passerelles bancaires capables de soutenir la zone de libre-échange continentale ». En accueillant à son tour la banque nigériane, Bangui contribue à densifier ces passerelles sans heurter les équilibres existants.
Perspectives réglementaires et soutenabilité du marché
La BEAC a déjà fait savoir que tout nouvel entrant devra se conformer au relèvement du capital minimum des établissements de crédit à 15 milliards de FCFA, applicable depuis janvier 2024. Pour UBA, dont les fonds propres consolidés dépassent 1,5 milliard de dollars, la contrainte apparaît limitée. Le véritable défi réside dans la maîtrise du risque souverain et sécuritaire, un paramètre que les analyses internes du groupe disent « gérable à moyen terme » grâce à la mutualisation régionale des garanties. La réussite de l’opération dépendra enfin de la capacité des autorités centrafricaines à poursuivre les réformes du cadre des affaires, un chantier soutenu par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.
Vers un nouveau chapitre pour la finance centrafricaine
Si l’implantation d’UBA se confirme, la République centrafricaine deviendra le 21ᵉ pays africain à accueillir la banque. Au-delà du simple élargissement du paysage bancaire, c’est un projet de transformation économique qui se dessine : densification du crédit aux PME, diffusion rapide des services digitaux et consolidation d’un marché intégré au cœur de la CEMAC. Pour Bangui, le pari est audacieux ; pour UBA, il s’agit d’une extension logique de sa stratégie panafricaine. Les observateurs jugeront sur pièces, mais l’initiative, saluée autant à Brazzaville qu’à Abuja, révèle une aspiration partagée : placer enfin l’Afrique centrale au centre de la carte des flux financiers du continent.