L’entrepreneuriat congolais en pleine ascension
La salle polyvalente de la Fondation Telema, à Moukondo, vibrait ce 8 août sous les applaudissements de familles, partenaires et représentants officiels. Vingt jeunes entrepreneurs y recevaient leur certificat, ponctuant trois semaines d’apprentissage intensif et ravivant l’optimisme d’un écosystème congolais en pleine effervescence.
Cette quatrième cohorte porte à plus de quatre-vingts le nombre total de projets suivis depuis 2020. Agriculture durable, artisanat créatif ou services numériques : les incubés témoignent d’une ambition collective, contribuer à la diversification économique voulue par les autorités et accélérer l’emploi des jeunes.
Une formation intensive et pragmatique
Pendant vingt et un jours, les participants ont enchaîné près de cent vingt heures de modules couvrant gestion budgétaire, leadership, marketing digital ou encore rédaction de business plan. Les mentors, eux-mêmes entrepreneurs confirmés, ont privilégié l’approche terrain plutôt que le seul apport théorique.
« Nous avons insisté sur la validation du marché avant toute dépense », souligne Mireille Nkodia, responsable pédagogique. Les incubés ont réalisé des enquêtes de terrain dans les quartiers périphériques de Brazzaville, confrontant leurs hypothèses aux réalités de consommation et adaptant instantanément leurs prototypes.
Le programme s’appuie aussi sur des ateliers de développement personnel où confiance, communication et gestion du stress sont travaillées. « Un pitch convaincant commence par l’attitude », rappelle l’expert sénégalais Serigne Diop, invité pour souligner l’importance du capital humain dans la compétitivité des jeunes entreprises africaines.
Des projets alignés sur les priorités nationales
Les vingt projets retenus couvrent des filières identifiées comme stratégiques par le Plan national de développement : manioc transformé, élevage de tilapias, cosmétiques à base de karité, applications de gestion scolaire. Chacun devra, durant douze mois, franchir des jalons stricts pour accéder au financement d’amorçage.
Cette sélection reflète une orientation vers la sécurité alimentaire et l’économie verte, prioritaires dans les feuilles de route gouvernementales. Selon Brice Matadi, coordonnateur de l’incubation, « les porteurs ciblent des besoins locaux, du petit déjeuner urbain au compost biodégradable, avec une logique d’impact mesurable ».
Parité et inclusion au cœur de Telema
Quarante pour cent des projets sont conduits par des femmes, une proportion en progression constante depuis la première cohorte. La Fondation Telema veille à l’équilibre des genres en ajustant ses critères de sélection et en assurant des modules dédiés à la négociation et à la gouvernance inclusive.
Pour Émilie Mvoula, créatrice d’une marque de jus de baobab, cette parité nourrit la confiance : « Voir d’autres femmes lutter pour conquérir le marché m’a donné l’énergie de dépasser mes doutes ». Les coachs constatent une cohésion accrue et des mentorats croisés spontanés entre participantes.
Partenariats publics-privés en renfort
La présence d’Emile Blaise Pascal Opangault, représentant le ministère du Développement industriel, a rappelé l’alignement entre initiatives privées et stratégie nationale. Il a salué « la décision courageuse de créer de la valeur hors de la fonction publique », soulignant l’importance de la formation dans la vision Congo 2030.
Côté partenaires, l’Agence française de développement et la Banque mondiale étudient la possibilité d’intégrer certains projets aux mécanismes de garantie de crédit déjà actifs au Congo. Une décision qui pourrait fluidifier l’accès aux capitaux pour les microentreprises encore jugées trop risquées par les banques commerciales.
Les responsables de la Fondation plaident toutefois pour un fonds dédié à l’incubation, citant le modèle brésilien de la Sebrae. « L’amorçage reste le chaînon manquant », rappelle son secrétaire général, invitant entreprises pétrolières et télécoms à consacrer une part de leurs budgets RSE à la jeunesse innovante.
Un cinquième appel qui élargit le champ
L’annonce d’un cinquième appel à projets, ouvert jusqu’au 23 septembre 2025, marque déjà l’horizon suivant. Les candidats disposeront d’un processus de présélection numérique, nouveau, visant à toucher les départements du Niari, de la Sangha et du Kouilou, moins représentés jusqu’ici.
Une campagne radio et réseaux sociaux sera lancée en lingala, kituba et français pour maximiser la diffusion. Selon les projections internes, plus de cinq cents candidatures sont attendues, signe que la culture entrepreneuriale gagne en visibilité bien au-delà du périmètre urbain brazzavillois.
Défis, perspectives et atout démographique
Malgré l’enthousiasme, plusieurs défis demeurent : infrastructures logistiques coûteuses, dépendance aux importations d’emballages et procédures administratives encore complexes. Les incubés espèrent que la future loi sur les start-up, annoncée par le ministère des Finances, simplifiera l’enregistrement et les avantages fiscaux.
Pour l’économiste Jean-Claude Iloki, « l’enjeu est de créer un continuum entre idéation, prototype, industrialisation et accès au marché régional de la CEEAC ». Il appelle à harmoniser les programmes publics avec les initiatives d’incubateurs privés afin d’éviter les doublons et de mutualiser les ressources.
Dans l’immédiat, la cohorte sortante retourne sur le terrain avec la promesse d’un suivi mensuel. Les histoires personnelles, qu’elles débutent dans un potager urbain ou un atelier de recyclage, rappellent que l’avenir économique du Congo se construit déjà, pas à pas, par sa jeunesse.
Les analystes notent enfin que l’écosystème congolais bénéficie d’une démographie jeune et connectée : plus de soixante pour cent de la population a moins de trente-cinq ans, un atout potentiellement décisif pour transformer l’effervescence des incubateurs en véritable dynamique nationale.