Une élection au symbole régional fort
Réunie à N’Djamena pour sa soixante-quinzième session, la conférence des dix-neuf ministres membres de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar a porté la Tchadienne Fatima Goukouni Weddey à la tête de son Comité directeur pour une durée d’un an. Derrière l’apparente routine institutionnelle, la décision consacre l’ancrage d’une nouvelle génération de dirigeants dans le pilotage des grands appareils multilatéraux africains, en phase avec les attentes d’un secteur aérien en pleine métamorphose.
Le choix de Mme Goukouni Weddey revêt une portée symbolique pour l’Afrique centrale. Fille du président historique du Tchad, elle conjugue une stature politique affirmée et une connaissance technique du transport aérien, ayant porté le portefeuille des Transports en plein pic pandémique. Sa désignation a été saluée par la délégation congolaise qui y voit « un signal de continuité pragmatique » dans la conduite des chantiers régionaux (ministère congolais des Transports, 2023).
Asecna pilier de la connectivité africaine
Depuis 1959, l’Asecna coordonne le contrôle de l’espace aérien couvrant seize millions de kilomètres carrés, allant de l’Atlantique aux confins de l’océan Indien. L’agence, dont Brazzaville fut l’un des signataires fondateurs, s’est imposée comme une plateforme de souveraineté partagée : elle détient et opère des radars, centers et balises qui garantissent la fluidité de quelque 730 000 mouvements annuels, soit 10 % du trafic continental (Asecna, Rapport 2022).
L’acceptabilité économique de cette mutualisation reste souvent sous-estimée. Les États membres versent une quote-part indexée sur le produit intérieur brut, technique qui a permis de stabiliser les contributions congolaises malgré la volatilité pétrolière. Les audits récents du Fonds pour la navigation aérienne indiquent une performance budgétaire consolidée à 96 % de l’objectif, preuve que la gouvernance collégiale continue de séduire les bailleurs multilatéraux.
Sécurité aérienne et transitions technologiques
Le mandat confié à Mme Goukouni Weddey se structure autour de trois variables : la modernisation du contrôle satellitaire, l’intégration des impératifs environnementaux et la montée en puissance de la cybersécurité. L’Asecna achève actuellement le déploiement du système SBAS-Asecna, navigation par satellite à haute précision, dont le segment sol est partiellement implanté à l’aéroport international Maya-Maya de Brazzaville. Cette avancée technique doit abaisser les coûts opérationnels de 5 % et réduire de 12 000 tonnes annuelles les émissions de CO₂ liées aux routes d’approche (Commission africaine de l’aviation civile, 2023).
Sur le volet sécuritaire, l’accroissement du trafic de drones civils et parapublics dans les couloirs d’approche interroge la robustesse réglementaire. La nouvelle présidente entend favoriser un corpus normatif harmonisé avant fin 2024, démarche que le Congo soutient activement, conscient du rôle pivot de Pointe-Noire pour la logistique pétrolière offshore.
Diplomatie du ciel et leadership tchadien
Au-delà des questions techniques, l’élection de N’Djamena épouse une dynamique diplomatique plus large. En confiant la présidence à une personnalité de la zone CEMAC, les États membres affichent une volonté de rééquilibrage vis-à-vis de l’espace UEMOA, historiquement prédominant au sein de l’agence. Pour Brazzaville, qui se prépare à accueillir les Jeux de la Francophonie en 2025, l’argument d’un ciel régional apaisé renforce l’attractivité des hubs congolais auprès des investisseurs du Golfe et d’Asie orientale.
Interrogé en marge de la session, un diplomate congolais a rappelé que « la sécurité aérienne constitue désormais un actif stratégique aussi décisif que le passage d’un pipeline ». Les chancelleries occidentales observent de près cette montée en grade du Tchad, qui, tout en restant fidèle à la solidarité panafricaine, bénéficie d’une coopération sécuritaire soutenue avec Paris et Washington.
Perspectives congolaises et agenda commun
Les douze prochains mois offriront un laboratoire grandeur nature pour évaluer la résilience de l’Asecna face aux chocs exogènes, notamment ceux du climat et de la volatilité énergétique. Brazzaville plaide pour que la priorité budgétaire soit accordée à la rénovation des équipements météorologiques, condition sine qua non pour anticiper l’intensification des phénomènes orageux au-dessus du bassin du Congo.
En coulisse, les experts congolais travaillent déjà à la rédaction du futur Plan de navigation aérienne régionale 2025-2035. Le mandat de Mme Goukouni Weddey, certes bref, pourrait s’avérer charnière : s’il parvient à conjuguer innovation technologique, discipline budgétaire et coopération diplomatique inclusive, il ouvrirait la voie à une gouvernance aérienne où sécurité, durabilité et intégration régionale volent enfin de concert.