Un retour scénique attendu par la scène urbaine congolaise
Six ans après avoir fait danser Brazzaville sur «La paix», Ley de Mamad’u, plus volontiers appelé Sugar Daddy par ses aficionados, reparaît sous les projecteurs avec «Taxi-moto». Le single, lancé en avril 2025 depuis Bruxelles, rappelle que l’artiste n’a rien perdu de son flair pour capter les tendances qui traversent les capitales d’Afrique centrale. «J’avais besoin de prendre le temps d’observer, de mûrir et de revenir avec un message plus large que la fête», confie-t-il lors d’un entretien téléphonique accordé à une radio locale.
Ce retour est salué par nombre de programmateurs brazzavillois, qui voient dans la proposition musicale de Sugar Daddy l’illustration d’une nouvelle vague d’artistes assumant à la fois divertissement et engagement citoyen. Le contexte est propice : la consommation de musique en streaming a bondi de 38 % dans le pays en 2024, selon les estimations du cabinet Data Track, offrant aux créateurs un levier de diffusion inédit par rapport aux ventes physiques d’hier.
De la rumba à la prévention routière : un mélange stratégique
En apparence festif, «Taxi-moto» se révèle rapidement comme un pamphlet bienveillant en faveur de la sécurité routière. À travers un refrain scandé sur une ligne de basse typiquement rumba et des cuivres légers empruntés au ndombolo, le chanteur rappelle aux conducteurs de motos urbaines l’importance de porter casque et gilet réfléchissant, de respecter les feux tricolores et de limiter les passagers.
Le choix d’un tel thème ne relève pas du hasard. Les statistiques de l’Observatoire national de la sécurité routière indiquent que les deux-roues motorisés représentent plus de 60 % des accidents corporels enregistrés à Brazzaville l’an passé. En associant son image à cette lutte, l’artiste rejoint les efforts menés par le ministère des Transports, qui multiplie les campagnes de sensibilisation dans les écoles et les marchés. Loin d’adopter un ton moralisateur, Sugar Daddy insuffle une pédagogie ludique, faisant de la danse un vecteur de prévention.
La Belgique, rampe de lancement d’une distribution ambitieuse
Le choix de Bruxelles comme point de départ peut surprendre, mais il répond à une logique transnationale. Hébergé par le label Hethimologie Prod, l’artiste bénéficie des infrastructures techniques et de la visibilité offerte par le marché européen, sans pour autant se couper de son public de base. «La diaspora est aujourd’hui notre premier relais d’audience avant le relais local», souligne Hélène Mbemba, directrice artistique du label, qui insiste sur l’importance des plateformes légales de téléchargement pour réduire le piratage et garantir une rémunération équitable.
Cette stratégie séduit les analystes du secteur. Pour Aurélien Poba, consultant en économie culturelle, «le lancement offshore permet de valoriser le produit artistique, de le doter d’un vernis cosmopolite qui, paradoxalement, renforce son authenticité aux yeux du public congolais». Dans un contexte où la musique nationale s’exporte de plus en plus vers les festivals européens, la démarche de Sugar Daddy s’inscrit dans cette dynamique d’échanges Sud-Nord désormais banalisée.
«Renaissance», un album dévoilé au compte-gouttes
«Taxi-moto» n’est que le deuxième volet d’un opus de sept titres que l’auteur dévoilera progressivement tout au long de l’année. Cette mise en scène, inspirée des pratiques du marketing digital, maintient l’attention du public et nourrit les conversations sur les réseaux sociaux, principaux vecteurs d’influence chez les 18-35 ans congolais. En optant pour une production intégralement auto-réalisée, Ley de Mamad’u revendique une indépendance artistique qui tranche avec le modèle des majors traditionnelles.
Le synopsis de l’album, baptisé «Renaissance», s’articule autour de la thématique du renouveau personnel et collectif. Du point de vue de la critique, on attend de voir si la diversité musicale annoncée – de la rumba pure au trap en passant par le gospel urbain – parvient à maintenir une cohérence discursive. Quoi qu’il en soit, l’artiste promet un fil conducteur : «Chaque chanson portera un message social, car l’art doit servir la communauté», déclare-t-il.
Entre pédagogie citoyenne et marketing digital
Le succès potentiel de «Taxi-moto» illustre l’évolution d’une industrie musicale congolais qui conjugue désormais engagement sociétal et stratégie commerciale pointue. En alignant son discours sur les préoccupations quotidiennes – en l’occurrence la sécurité routière – l’artiste s’inscrit dans la continuité des politiques publiques favorisant la responsabilité individuelle au sein de la cité.
Cette convergence entre initiative privée et politique de prévention est saluée par plusieurs observateurs. «L’État ne peut pas tout faire ; quand des voix populaires se mobilisent, le message gagne en efficacité», fait valoir un responsable de la Direction générale des transports terrestres. Si le pari de Sugar Daddy est réussi, Brazzaville pourrait voir émerger un nouveau modèle de collaboration informelle entre créateurs et institutions, où chaque refrain, au-delà de faire danser, devient un rappel civique adressé à l’ensemble de la communauté.