Moscou, carrefour de la formation journalistique
La lumière dorée de la fin d’été moscovite baignait les salles de la Maison de la presse, où, durant six jours, une cinquantaine de journalistes venus d’Afrique, d’Asie et d’Amérique ont partagé claviers, idées et ambitions autour d’une même obsession : mieux informer.
L’événement, baptisé master class internationale, était organisé par l’agence Sputnik avec le soutien du groupe Rossiya Segodnya, dans l’objectif d’actualiser les compétences des rédacteurs face à l’arrivée constante de nouveaux formats et aux publics toujours plus exigeants.
Au programme figuraient ateliers d’écriture rapide, démonstrations d’outils de vérification d’images, simulations de couverture en direct et sessions de débat sur l’éthique, autant de modules destinés à replacer la rigueur au cœur de la production multimédia.
Des méthodes au diapason du numérique
Les conférenciers ont insisté sur l’importance de l’angle, cet élément qui transforme une information brute en récit pertinent. Par des exercices pratiques, ils ont montré comment un sujet local peut gagner en portée grâce au datajournalisme ou au storytelling visuel adapté aux téléphones.
Les participants ont également exploré l’intelligence artificielle générative. Un formateur a souligné que l’outil « ne remplace pas la curiosité du reporter, il la prolonge », rappelant l’obligation de contrôler chaque sortie d’algorithme pour éviter dérives et approximations.
Un module consacré aux réseaux sociaux a séduit l’audience africaine, qui voit TikTok et WhatsApp comme des relais essentiels pour toucher une population jeune. Les animateurs ont détaillé des stratégies de vérification rapide avant publication pour contrer la propagation de fausses nouvelles.
Voix africaines en première ligne
Parmi les trente journalistes africains présents, six provenaient du Congo. Armand Mouanda, reporter aux Dépêches de Brazzaville, estime que l’expérience « ouvre un champ d’innovation pour valoriser nos réalités locales dans un format mondial ». Son reportage test sur les startups brazzavilloises a été largement salué.
Les échanges informels entre professionnels ont confirmé la diversité des réalités médiatiques du continent. Alors que certains affrontent des coupures d’électricité récurrentes, d’autres composent avec des audiences majoritairement connectées. Chacun est reparti avec des astuces adaptées à ses contraintes de terrain.
Lydia Inda, journaliste économique de Dar es Salaam, rappelle toutefois que « les techniques apprises doivent s’accompagner de ressources matérielles pour produire des formats interactifs ». Elle espère que la coopération internationale s’intensifiera afin de faciliter l’accès aux logiciels payants.
Une fenêtre sur la coopération Russie-Afrique
La master class s’inscrit dans une stratégie plus large de Moscou visant à renforcer ses liens médiatiques avec le Sud. Depuis 2019, Sputnik Afrique publie en français, arabe et swahili, tout en établissant des accords de contenus avec des rédactions locales.
Au Congo-Brazzaville, la collaboration avec Les Dépêches inclut l’échange de dépêches multilingues et des séminaires techniques. L’objectif affiché est d’élargir la couverture économique régionale, souvent sous-représentée dans les flux mondiaux.
Interrogé sur les critiques occidentales visant la ligne éditoriale de Sputnik, le directeur adjoint Anton Anisimov répond que « la pluralité passe par la coexistence de récits différents ». Les stagiaires, eux, retiennent surtout la possibilité de disposer d’un réseau d’experts russes pour décrypter l’énergie ou l’aérospatial.
Un contexte géopolitique sous surveillance
La tenue d’une formation internationale en plein cœur de Moscou intervient dans une conjoncture où les flux d’informations sont eux-mêmes objets de rivalités. Les formateurs ont rappelé que la crédibilité d’un média dépend d’une transparence accrue sur les sources et les financements.
Plusieurs intervenants extérieurs, dont un responsable de l’Union des journalistes russes, ont abordé les restrictions imposées à Sputnik en Europe. Ils estiment que ces événements doivent inciter les rédactions à diversifier leurs canaux de diffusion pour préserver l’accès à leurs audiences.
Le séminaire a aussi abordé la question de la sécurité numérique. Des exercices ont simulé des tentatives de hameçonnage ciblant des reporters en zone de conflit. Les stagiaires ont installé des protocoles de double authentification et appris à chiffrer leurs échanges sensibles.
Enfin, un volet consacré au droit international humanitaire a souligné les obligations qui pèsent sur les journalistes couvrant les opérations militaires. Des cas pratiques sur la terminologie, la protection des civils et l’usage d’images choquantes ont consolidé la dimension éthique de la formation.
Défis et perspectives après la formation
À l’issue de la semaine, chaque participant a présenté un projet éditorial qu’il s’est engagé à publier dans les trois mois. Plusieurs promesses concernent le climat, la sécurité alimentaire ou les mouvements culturels urbains, thèmes prioritaires pour les lecteurs brazzavillois.
De retour chez eux, les reporters devront composer avec des salles de rédaction parfois sous-équipées, mais la dynamique collective née à Moscou constitue un socle. Un groupe Telegram, créé dès le premier soir, centralise tutoriels, offres de bourses et annonces de conférences.
À terme, les organisateurs espèrent transformer la master class en rendez-vous annuel. Les Congolais interrogés jugent que cet échange Sud-Sud élargi, où la Russie joue le rôle d’hôte, peut soutenir le développement de médias plus solides et, in fine, renforcer le débat public.