Un pont flottant entre Moscou et Brazzaville
Le retour, fin juillet, du navire-école Smolny dans les eaux congolaises a fourni l’image d’un pont flottant entre la Fédération de Russie et la République du Congo. L’escale, saluée par le dépôt d’une gerbe de fleurs devant la stèle du Soldat de la paix, rappelle d’abord la densité symbolique qu’attache Brazzaville à la mémoire militaire. Au regard diplomatique, ce geste de recueillement, accompagné par les hymnes mêlés des deux nations, a conforté la place de Pointe-Noire comme théâtre d’une proximité historique qui remonte à l’appui soviétique des années soixante-dix.
Escales stratégiques et soft power naval
La marine russe, forte d’un regain d’activités africaines depuis 2014, multiplie les mouillages dans le golfe de Guinée. Selon le Centre africain d’études stratégiques, plus de vingt escales de bâtiments russes ont été enregistrées en Afrique centrale au cours des cinq dernières années. Le Smolny, long de 144 mètres et conçu pour la formation d’officiers, n’emporte ni missiles ni hélicoptères de combat : sa fonction pédagogique lui confère une empreinte douce, propre à rassurer les riverains tout en projetant un drapeau. En accueillant un tel navire, la Zone militaire de défense n°1 du Congo renforce, sans susciter d’appréhension régionale, sa visibilité dans les réseaux sécuritaires de la sous-région.
Formation croisée et transferts de compétences
Au cœur de la visite, les échanges techniques ont porté sur la lutte contre la piraterie et la sûreté portuaire, deux préoccupations constantes dans un espace maritime qui voit transiter chaque année près de 40 % du trafic pétrolier africain. Les officiers congolais ont assisté à une projection retraçant l’instruction d’élèves tanzaniens à bord du Smolny, avant d’inspecter les simulateurs hydrodynamiques du bord. « Notre politique est de partager l’expérience opérationnelle accumulée en mer Baltique avec nos partenaires africains », a indiqué le contre-amiral Semenov Oleg Aleksandr. Cette démarche répond aux orientations du Plan national de développement 2022-2026 de la République du Congo, qui fait de la sûreté maritime un vecteur prioritaire de diversification économique.
Enjeux économiques et sécuritaires du golfe de Guinée
Les autorités congolaises voient dans la coopération navale russe un levier pour sécuriser les terminaux pétroliers de Djeno et de Nkossa, dont les cargaisons représentent l’essentiel des recettes d’exportation nationales. La présence ponctuelle de marins formés à des standards internationaux contribue également à rassurer les compagnies assurancielles, fortement attentives aux signalements d’attaques au large des côtes nigérianes. Dans cette logique, le préfet de Pointe-Noire, Pierre Cébert Iboko Onanga, a souligné « l’importance de conjuguer diplomatie et sécurité pour soutenir la relance post-Covid ».
Une diplomatie cérémonielle assumée
La dimension protocolaire de l’escale a, elle aussi, produit ses effets. En inscrivant son nom dans le livre de bord du navire, le général Jean Olessongo Ondaye a prolongé une tradition d’échanges qui, depuis la première visite du Smolny en 2024, s’est traduite par des stages croisés à Kronstadt et à Mpila. Admirabilité de la manœuvre ou recherche d’une visibilité internationale ? Les deux lectures coexistent. Pour Moscou, le Congo offre un port en eaux profondes stratégiquement situé entre l’Atlantique Sud et la façade d’Afrique de l’Ouest. Pour Brazzaville, la Russie constitue un partenaire parmi d’autres, au même titre que la Chine ou la France, à l’heure où l’on diversifie les vecteurs de soutien technologique.
Perspectives régionales et multilatérales
La Communauté économique des États de l’Afrique centrale suit avec intérêt les initiatives bilatérales susceptibles de nourrir le programme de coordination maritime adopté à Malabo en 2022. Dans ce cadre, le Congo propose d’accueillir, avant 2025, un exercice multinational dédié aux opérations de recherche et de sauvetage en mer. Si cette idée venait à se concrétiser, la participation du Smolny offrirait un exemple d’intégration d’acteurs extra-continentaux dans un format multilatéral africain. Elle illustrerait également la volonté de Brazzaville de faire converger partenariats spécifiques et architecture sécuritaire régionale.
Cap vers une coopération durable
En quittant Pointe-Noire pour l’Afrique du Sud, le navire-école russe a laissé derrière lui un calendrier de travail chargé, portant notamment sur la création d’un module de formation congolais dédié aux opérations amphibies légères. À l’heure où les menaces maritimes se complexifient et où les budgets de défense restent contraints, la mutualisation d’expertise apparait comme une voie réaliste. Sans triomphalisme, mais avec constance, Brazzaville consolide ainsi une relation qui, selon le ministre congolais de la Défense, Charles Richard Mondjo, « s’inscrit dans la durée et répond à nos engagements envers la sécurité collective du golfe de Guinée ».