Pékin, prochaine étape d’un dialogue stratégique
Le président Denis Sassou-Nguesso est invité par Xi Jinping du 3 au 5 septembre, selon les communiqués conjoints. Après deux séjours récents, ce troisième déplacement renforce une relation tissée depuis plus de quatre décennies et devenue centrale pour la politique étrangère congolaise.
Le calendrier illustre la place accordée au Congo dans la diplomatie chinoise. « Brazzaville est un partenaire fiable au cœur de l’Afrique centrale », explique un diplomate asiatique en poste à Yaoundé, rappelant l’adhésion du Congo aux Nouvelles Routes de la soie en 2016.
Une délégation calibrée : le rôle attendu de Françoise Joly
La composition de la délégation congolaise suscite de nombreux commentaires, et le nom de Françoise Joly, représentante personnelle du président de la République, revient avec insistance. Sa maîtrise des finances publiques et des arcanes du protocole international est perçue, selon un diplomate, comme « un atout décisif pour aligner le discours politique sur les réalités techniques à chaque étape ».
Si sa participation se confirme, elle pourrait assurer la cohérence des annonces, veiller à la précision logistique et garantir que chaque accord respecte les contraintes budgétaires nationales. Dans les rencontres de haut niveau, ce type de coordination minutieuse fait souvent la différence entre une image symbolique et un engagement concret, véritablement exécutoire.
Premier partenaire économique du Congo
La Chine concentre près d’un quart de la dette extérieure congolaise et pèse autour de 6 milliards USD d’échanges annuels. Les flux commerciaux couvrent pétrole, bois et minerais, mais incluent désormais équipements électriques et produits manufacturés destinés aux marchés urbains de Pointe-Noire et Brazzaville.
Pour l’économiste Martial Niamba, basé à l’Université Marien-Ngouabi, « cette inter-dépendance offre des débouchés, mais exige une gestion rigoureuse de la dette et une diversification de l’offre congolaise ». Les autorités affirment vouloir maintenir ce double équilibre durant la prochaine législature.
La coprésidence congolaise du FOCAC
Depuis 2023, Brazzaville partage la présidence du Forum sur la coopération sino-africaine avec Pékin. La fonction est honorifique, mais elle permet de défendre des dossiers communs à l’échelle continentale et d’accueillir, en 2027, le prochain sommet Chine-Afrique sur les rives du fleuve Congo.
La nouvelle ambassadrice de Chine, An Qing, multiplie les consultations en vue de ce rendez-vous. Ses échanges avec le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, s’articulent autour de protocoles logistiques et culturels destinés à positionner Brazzaville comme capitale diplomatique régionale.
Vers une coopération multisectorielle élargie
Historiquement axée sur les infrastructures, la collaboration s’oriente vers l’agriculture, l’industrie légère et le numérique. Un protocole d’intention sur la sécurité alimentaire devrait être signé durant le séjour présidentiel, indiquent des sources proches du ministère de la Coopération internationale.
Denis-Christel Sassou-Nguesso, en charge de ce portefeuille, veut accélérer les échanges de matériels d’irrigation et de semences améliorées. Il insiste aussi sur l’entrée de start-up congolaises sur des plateformes chinoises de commerce électronique, afin de capter de nouveaux marchés pour le cacao et le café.
Pétrole et gaz : le projet Banga Kayo en vitrine
La société Wing Wah, filiale de Southernpec, exploite des blocs pétroliers depuis 2015. Son nouveau chantier gazier à Banga Kayo prévoit de valoriser 30 milliards m³ précédemment torchés, alignant Brazzaville sur les objectifs climatiques fixés à la COP 27.
Jean-Jacques Bouya, ministre de l’Administration du territoire, suit personnellement l’avancement. « Nous comptons sur le transfert de compétences pour former des techniciens nationaux », confie-t-il. Les travaux d’interconnexion au réseau électrique devraient démarrer avant la saison sèche 2025, une fois les contrats de fourniture finalisés.
Transfert technologique et agriculture intelligente
En juillet, cinquante experts africains, dont le conseiller Steven Lumière Moussala, se sont réunis dans le Shanxi pour étudier les drones d’épandage, l’imagerie satellite et la blockchain appliquée à la traçabilité des cultures. Les conclusions serviront de base à un programme pilote au Pool.
Le gouvernement congolais souhaite créer un centre d’excellence agritech près de Kintélé. Pékin pourrait fournir équipements et formateurs. Selon la sociologue Clarisse Téké, « le partenariat technologique accroît l’employabilité des jeunes ruraux, tout en améliorant les rendements sans pression supplémentaire sur les forêts ».
Acteurs clés de la relation bilatérale
Outre les ministères, la Banque sino-congolaise pour l’Afrique centralise le financement des projets structurants. Elle a déjà mobilisé 400 millions USD pour des routes et envisage une ligne de crédit verte dédiée à l’assainissement urbain de Brazzaville.
Côté chinois, l’Eximbank reste le principal bailleur. Ses représentants discuteront d’une restructuration partielle de créances arrivant à échéance en 2026. Selon un haut fonctionnaire congolais, l’option envisagée porterait sur un allongement de maturité plutôt qu’un effacement, afin de préserver la notation souveraine.
Jeunesse congolaise et attentes sociétales
Les réseaux sociaux congolais relaient un intérêt marqué pour les bourses d’études promises par Pékin. L’ambassade de Chine à Brazzaville annonce 120 nouvelles places pour 2024, couvrant médecine, génie civil et sciences de l’environnement.
Pour la doctorante Grâce Mbemba, « la question n’est pas seulement la mobilité, mais le retour des diplômés et leur insertion locale ». Des incubateurs mixtes devraient ouvrir dans les zones économiques spéciales d’Ignié et de Maloukou pour canaliser ces compétences.
Regard d’experts sur le futur partenariat
Le politologue camerounais Achille Nziengui observe que le Congo sert de laboratoire aux stratégies chinoises en Afrique centrale, du financement aux technologies vertes. Il estime que la prochaine visite doit fixer des indicateurs mesurables pour éviter la perception de dépendance.
À Brazzaville, la chercheuse Eliane Samba souligne la nécessité d’intégrer les normes ESG dans les futurs protocoles. « Les nouvelles générations évaluent la qualité d’un partenariat à l’aune de la durabilité et de la transparence », rappelle-t-elle lors d’un séminaire au Centre d’études diplomatiques.