Une mise au diapason nécessaire
Le bruissement feutré des conversations, ce 31 juillet, contrastait avec la solennité de l’amphithéâtre du siège national du Parti congolais du travail. Sous l’autorité pondérée de son secrétaire général, Pierre Moussa, la conférence inopinément délocalisée de Ouesso à Brazzaville avait un objectif limpide : remettre au diapason les filles et fils de la Sangha après des semaines de dissonances internes. Au premier rang, le président fédéral Georges Metoul, flanqué du ministre Ghislain Thierry Maguessa Ebomé et du député Henri Zoniaba, donnait au dispositif une tonalité quasi gouvernementale, signe que la question dépassait la seule mécanique partisane.
En substance, il s’agissait moins d’un simple exercice d’autocritique que d’un acte de loyauté envers un parti dont la présence dans le département atteint, fait rarissime, l’exhaustivité parlementaire. Dès l’ouverture, Pierre Moussa a rappelé que « ces deux événements cruciaux que sont notre VIᵉ congrès et l’élection présidentielle de 2026 ne laissent aucune marge aux états d’âme ». Le ton, ferme mais inclusif, invitait chacun à ranger les susceptibilités personnelles au profit d’une discipline collective, pivot d’un parti qui revendique, depuis plus de cinquante ans, la stabilité politique comme fil conducteur de son action.
Sangha, pivot électoral stratégique
La Sangha n’est pas seulement un territoire à forte densité forestière ; elle représente, dans l’architecture politique congolaise, une circonscription test pour le maintien du consensus national. Grâce à un maillage électoral serré et à une implantation historique du PCT dans les districts de Mokéko, Sembé ou Pikounda, le département aligne 100 % de députés et 100 % de sénateurs issus de ses rangs, sans compter près de 70 % des conseillers locaux. Cette hégémonie, saluée par les observateurs, n’est toutefois pas un blanc-seing éternel. Dans la perspective de 2026, où le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, aura besoin d’un front uni pour consolider les acquis du dialogue national, toute fragilisation de la Sangha aurait un retentissement bien au-delà de ses frontières.
Militants et élus en sont conscients : la démographie électorale évolue, les attentes socio-économiques s’aiguisent et les réseaux sociaux accélèrent la circulation des opinions. Un accroissement, même marginal, de l’abstention ou des votes contestataires dans ce bastion suffirait à brouiller un récit d’unité que Brazzaville promeut auprès des partenaires internationaux. C’est ce réalisme qui a poussé la direction du parti à organiser, avant même la rentrée politique de septembre, une séance de « mise à jour » collective afin de consolider ce maillon stratégique de la majorité présidentielle.
Le rappel des fondamentaux idéologiques du PCT
À la tribune, Pierre Moussa a déroulé un argumentaire axé sur la matrice idéologique du parti, inspiré du socialisme africain et de la solidarité communautaire. « Si nous ne sommes pas unis, si nous n’entret enons pas la cohésion en notre sein, si nous ne sommes pas solidaires, nous ne saurons pas affronter victorieusement les échéances qui se profilent », a-t-il insisté, reprenant un leitmotiv qui fait écho à la charte fondatrice de 1969. Pour les cadres de la Sangha, le message est double : défendre le bilan des politiques publiques, de la route Ouesso-Brazzaville à l’électrification rurale, tout en cultivant une discipline interne à l’épreuve des ambitions individuelles.
Cette pédagogie, adossée à la préparation du VIᵉ congrès, vise également à actualiser les priorités programmatiques. Les questions de modernisation agricole, de valorisation de la filière bois et de gestion transfrontalière des écosystèmes sont appelées à figurer en bonne place dans les résolutions. La Sangha, frontalière du Cameroun et de la République centrafricaine, se positionne en effet comme plateforme logistique potentielle de la sous-région CEEAC, autant d’arguments pour lesquels la cohésion locale devient une question de politique étrangère autant que de politique intérieure.
Les signaux d’alarme du terrain
Le préfet Edouard Denis Okouya, dans un message lu en séance, n’a pas dissimulé sa préoccupation face aux « intrigues récurrentes » susceptibles de compromettre la paix sociale. Reconnu pour son sens de la formule, il a exhorté les protagonistes à « ranger les couteaux dans la gibecière » avant que le feu ne gagne la maison commune. L’image, saisissante, souligne la vigilance républicaine qui anime l’administration territoriale à quelques mois d’un calendrier politique chargé.
Derrière l’alerte, se dessine la conscience que la stabilité institutionnelle du Congo-Brazzaville, si souvent citée en exemple dans une sous-région agitée, repose aussi sur la capacité des élites locales à gérer pacifiquement leurs différends. Cet objectif correspond aux orientations du président de la République, qui a multiplié, depuis le Forum national sur la paix de 2021, des appels au « vivre-ensemble » comme socle de la diplomatie intérieure congolaise.
Une feuille de route pour la sérénité
Pour incarner la « veille politique et l’aiguillon » voulus par la direction nationale, Michel Mahinga a été nommé commissaire politique de la Sangha. Ce diplomate de formation, passé par la représentation congolaise auprès de l’Union africaine, hérite d’un chantier aussi symbolique qu’exigeant : surveiller la bonne application des décisions issues de la concertation, réguler les interactions entre élus, militants et société civile, et nourrir la hiérarchie en informations fiables.
Selon plusieurs délégués, la priorité résidera dans la réactivation des cellules de base, rouages essentiels à la consolidation de la discipline militante. En coulisse, on évoque également la relance d’initiatives socio-économiques concertées, telles que l’encadrement des exploitations villageoises de cacao ou la formation des jeunes aux métiers du numérique. Autant de projets susceptibles d’arrimer le discours d’unité à des bénéfices tangibles pour les populations.
Entre réalisme et optimisme mesuré
Lorsque la photo de famille s’est imprimée sur les téléphones portables, les sourires laissaient transparaître un soulagement partagé. Les participants ont pris soin de souligner que « les querelles appartiennent désormais au passé ». Signe de prudence, aucun triomphalisme n’a néanmoins fusé des rangs. Chacun sait que l’épreuve de vérité se jouera dans les mois qui viennent, à l’occasion des consultations internes du congrès, puis sur les routes de la campagne présidentielle.
En renouant le fil du dialogue, la fédération PCT-Sangha entend offrir au parti et, par-delà, à la nation congolaise, un signal de maturité institutionnelle. Dans un environnement international prompt à scruter la moindre tension, cet exercice d’autoguérison politique rappelle que la diplomatie commence souvent à domicile. Sans éclats de voix, sans écaille inutile, les cadres de la Sangha aspirent désormais à céder la place à l’argumentaire programmatique et à la réalité des chantiers de développement. À défaut d’avoir révolutionné la scène politique, la réunion de Mpila aura au moins démontré qu’au Congo-Brazzaville, l’art de ranger les couteaux peut encore prévaloir sur la tentation de les brandir.