Une association sortie de l’ombre
Sous la fraîcheur matinale du campus de l’INRAP, une cinquantaine d’enseignants de français se sont retrouvés, le 9 août, autour du professeur Omer Massoumou. Après dix ans de silence, l’Association congolaise des enseignants de français change de rythme et ambition.
La réunion, qualifiée d’« historique » par plusieurs participants, marque le coup d’envoi d’un plan triennal de redynamisation. Les débats, vifs mais cordiaux, ont débouché sur des résolutions qui visent à faire réentendre la voix de la profession dans l’espace public.
Objectif premier : améliorer durablement la maîtrise du français dans tout le système éducatif, du préscolaire au supérieur, tout en valorisant les enseignants comme acteurs clés de la politique linguistique nationale, alignée sur le Plan d’action gouvernemental pour la qualité de l’éducation.
Un état des lieux sans complaisance
Derrière l’élan de renouveau, les constats demeurent sévères. Le professeur Alain Fernand Loussakoumou rappelle que « enseigner le français est un métier à part » requérant des compétences littéraires et linguistiques pointues, trop souvent confondu avec l’enseignement en langue française d’autres disciplines.
Dans plusieurs écoles, les horaires officiels ne suffisent plus à combler les lacunes des élèves, en particulier en zone périurbaine. Les responsables d’établissement évoquent des classes surchargées, un accès inégal aux manuels et la rareté des ateliers pratiques de lecture.
Mme Ninelle Josianne Balenda, professeure à l’Université Marien Ngouabi, pointe l’hétérogénéité des formations initiales : « Nous partageons la même passion, pas toujours la même méthodologie. » Elle plaide pour une formation continue modulaire, articulée avec l’évolution des programmes officiels.
Cette exigence rejoint les orientations du ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Alphabétisation, qui entend renforcer les compétences de base en lecture et en production écrite à hauteur de 20 % des crédits alloués à la réforme curriculaire 2023-2027.
Former et outiller les enseignants
Au cœur des résolutions adoptées figure la création d’un centre numérique de ressources pédagogiques géré par l’ACEF. La plateforme, annoncée pour janvier prochain, proposera des fiches de cours, des capsules vidéo et un forum d’échanges animé par des tuteurs volontaires.
Un partenariat est déjà engagé avec l’Institut français du Congo pour l’accès gratuit à la bibliothèque numérique ‘Culturethèque’. Cette collaboration devrait permettre aux enseignants des zones rurales de télécharger des œuvres classiques ou contemporaines sans contrainte de bande passante, grâce à un mode hors-ligne innovant.
Parallèlement, le département de français de l’École normale supérieure prépare un certificat d’expertise de six mois, ouvert aux non-spécialistes qui enseignent en français. « Les mathématiciens ou biologistes pourront consolider leurs aptitudes linguistiques sans abandonner leur discipline », précise le professeur Loussakoumou.
Cette démarche répond aux recommandations de l’Organisation internationale de la Francophonie, qui encourage la mutualisation des contenus pour augmenter la mobilité académique et l’employabilité. L’ACEF espère ainsi aligner ses formations sur les standards régionaux d’ici à 2026.
Synergies avec l’État et le secteur privé
Le président Massoumou insiste sur la nécessité d’ouvrir l’association aux ministères, entreprises et médias. « La question du français n’est pas corporatiste ; elle touche la compétitivité de l’économie numérique et créative », affirme-t-il, évoquant la montée des industries culturelles locales.
Une convention cadre est en négociation avec le ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique afin d’introduire des modules d’écriture web dans les incubateurs publics. L’objectif est d’améliorer la qualité éditoriale des start-up et de faciliter leur visibilité internationale.
Le secteur extractif, traditionnel moteur de la croissance congolaise, pourrait lui aussi profiter de cette expertise linguistique. La Société nationale des pétroles du Congo envisage de sponsoriser des ateliers de rédaction technique pour les ingénieurs, un moyen de réduire les coûts de traduction.
Ces alliances public-privé s’inscrivent dans la stratégie gouvernementale de diversification économique, rappelée lors des Assises de l’Éducation d’avril dernier. Les autorités y avaient appelé à « une appropriation citoyenne de la langue française, outil de cohésion et de compétitivité ».
Feuille de route et attentes des jeunes enseignants
Pour la jeune génération, la relance de l’ACEF représente une opportunité de réseautage. M. Fabrice Minkoua, enseignant stagiaire à Makélékélé, espère des mentorats. « Nous voulons des conseils pratiques sur la gestion de classe et l’évaluation, pas seulement des conférences magistrales », dit-il.
Le bureau exécutif prévoit d’organiser, chaque trimestre, des classes virtuelles interactives, alimentées par les retours de terrain et évaluées selon des indicateurs de performance publique. Une newsletter bilingue, français-lingala, doit également voir le jour pour toucher un public plus large.
Sur le plan financier, l’association s’en remet pour l’instant aux cotisations, fixées à 5 000 FCFA l’an, et à quelques subventions. Un budget prévisionnel de 18 millions FCFA a été voté pour couvrir les formations, la communication et l’achat de matériel.
Les organisateurs assurent que le rapport d’exécution sera publié en ligne chaque semestre, gage de transparence réclamé par les bailleurs et les adhérents.
À l’issue de l’assemblée, la pluie fine n’a pas dissipé l’enthousiasme. Reste à transformer ces résolutions en actions mesurables. Les prochaines semaines diront si l’ACEF peut devenir ce laboratoire d’idées capable d’accompagner, sans heurts, l’ambition éducative du Congo-Brazzaville.