Une décennie au service de l’équilibre international
Le 15 août 2025, à l’orée des 65 ans d’indépendance, Jean-Claude Gakosso a accordé un long entretien à la presse nationale. Celui qui dirige la diplomatie congolaise depuis 2015 dresse le bilan d’une action qu’il veut « ouverte à tous et fermée à aucun ».
En dix années, le ministère s’est attaché à renforcer les liens historiques avec la France tout en dynamisant les axes vers la Chine, la Russie, la Türkiye, le Qatar ou le Brésil. Brazzaville revendique aujourd’hui une absence totale de contentieux bilatéral, signe d’une ligne pragmatique assumée.
« Nous n’avons de contentieux avec aucun pays », répète le ministre, soulignant qu’une petite nation peut exercer une influence constructive en privilégiant le dialogue. Cette doctrine, héritée de la Conférence nationale souveraine, s’inscrit dans la tradition du président Denis Sassou Nguesso, souvent mobilisé comme médiateur africain.
Libye, le dossier phare de Brazzaville
La médiation congolaise en Libye constitue l’illustration la plus visible de cette approche. Sous mandat de l’Union africaine, Brazzaville a porté durant dix ans un patient processus de concertation entre tribus, autorités civiles et acteurs régionaux, à un moment où la communauté internationale peinait à trouver un terrain d’entente.
Résultat, la circulation de Benghazi à Tripoli est redevenue possible, même si des poches d’instabilité subsistent. « La leçon, c’est de laisser les Libyens décider », confie M. Gakosso, qui rappelle que les bombardements de 2011 avaient été décidés sans véritable concertation africaine.
Pour nombre d’experts, cette médiation a renforcé le rôle de pivot sécuritaire de Brazzaville dans la sous-région. Antoine Moudilou, chercheur au Centre d’études stratégiques d’Afrique centrale, estime que « l’expérience libyenne crédibilise le Congo chaque fois qu’un conflit éclate sur le continent ».
Tisser des partenariats pluriels, un atout économique
Au-delà des questions politiques, la diplomatie congolaise poursuit une recherche d’opportunités économiques. La multiplication des visites présidentielles en Chine ou à Doha a ouvert des lignes de crédit pour les infrastructures ferroviaires, tandis que Moscou propose un transfert de compétences dans l’énergie.
Pourtant, Brazzaville veille à maintenir un partenariat historique avec la France, toujours premier investisseur dans le secteur pétrolier. Le ministre insiste : « Nos amis français restent des partenaires privilégiés, nous voulons seulement diversifier nos solutions ». Les Etats-Unis demeurent aussi un interlocuteur courtois, notamment sur les questions climatiques.
Cette position d’équilibre, parfois décrite comme une « non-alignement 2.0 », séduit certains voisins. La République démocratique du Congo, le Gabon ou l’Angola demandent régulièrement l’appui de Brazzaville pour négocier des contrats miniers associant fonds publics asiatiques et entreprises occidentales.
L’Afrique et la Zlecaf, pari sur l’intégration
Sur le plan continental, le ministre défend une mise en œuvre rapide de la Zone de libre-échange africaine. Signé puis ratifié tôt par le Congo, l’accord est perçu comme un levier pour industrialiser les économies, réduire la dépendance aux matières premières et favoriser l’emploi des jeunes urbains.
La cheffe d’entreprise Tatiana Massamba confirme que la suppression des droits de douane entre Brazzaville et Lagos réduirait ses coûts logistiques d’un tiers. « Nous pourrions exporter nos huiles essentielles vers l’Afrique de l’Ouest sans passer par l’Europe », explique-t-elle, soulignant l’impact direct sur l’entrepreneuriat féminin.
Pour autant, M. Gakosso rappelle que l’intégration africaine suppose des infrastructures solides. Le corridor Pointe-Noire-Bangui-Ndjamena bénéficie déjà de financements multilatéraux, mais la facilitation douanière et numérique reste un chantier prioritaire pour les cinq prochaines années.
Perspectives et défis pour la prochaine décennie
Le vote de décrets revalorisant le statut des diplomates, en 2025, constitue l’autre chantier d’actualité. Les personnels congolais en poste à l’étranger bénéficieront d’allocations rapprochées des standards internationaux, ce qui devrait renforcer la capacité de lobbying économique et culturel, selon le syndicat maison.
À titre personnel, le ministre dit aborder cette onzième année « avec humilité ». Il remercie le chef de l’État pour sa confiance et rend hommage à ses prédécesseurs Rodolphe Adada et Basile Ikouebé, qui avaient amorcé la modernisation encore en cours des services consulaires.
Observateurs et partenaires saluent la continuité. Pour la chercheuse française Sonia Le Gouriellec, « la diplomatie congolaise se distingue par la stabilité de son équipe dirigeante, un atout rare en Afrique centrale ». Elle y voit un facteur de « lisibilité » pour les investisseurs et les instances multilatérales.
Alors que le monde redoute une fragmentation accrue, Brazzaville s’accroche à une ligne de dialogue. Ces dix ans d’exercice démontrent qu’un pays médian, doté d’une parole constante, peut défendre ses propres intérêts tout en contribuant à la résolution de crises lointaines.
Les prochains sommets de l’Union africaine et du G20, où le Congo participera comme invité spécial de l’Inde, offriront de nouvelles tribunes. Le ministère prépare déjà une série de forums économiques à Brazzaville pour présenter les atouts du pays aux diasporas et aux fonds souverains du Golfe.
Dans l’immédiat, les regards se tournent vers la Conférence climat de 2026, où la forêt du bassin du Congo sera au cœur des débats. Brazzaville plaidera une juste rémunération des services écologiques, prolongeant ainsi la diplomatie environnementale consolidée depuis l’initiative des Trois Bassins.