Concerts de régénération culturelle à Mouyondzi
Mouyondzi, modeste chef-lieu de district niché dans la Bouenza, a rarement connu effervescence comparable à celle des 31 juillet et 1ᵉʳ août derniers. Pendant plus de trois heures chaque soir, le groupe Conquering Lions, né à Pointe-Noire il y a une décennie, a déployé un dispositif scénique digne des capitales régionales. L’entrée en matière, un long prélude instrumental, a immédiatement clarifié l’intention : offrir aux quelque trois mille spectateurs un voyage sensoriel plutôt qu’un simple concert. Les successions de montées rythmiques, entrecoupées de respirations intimistes, ont suscité une gamme d’émotions allant de la ferveur collective à la méditation quasi spirituelle. Selon la direction départementale de la culture, la fréquentation de la kermesse a bondi de 60 % par rapport à l’an passé, signe que la manifestation a dépassé sa dimension festive pour devenir un moment de régénération culturelle.
La tournée provinciale, vecteur de diplomatie intérieure
L’initiative de Conquering Lions s’inscrit dans une ambition officiellement soutenue par le ministère de l’Industrie culturelle : parcourir, d’ici à 2025, l’ensemble des quinze départements afin de rapprocher l’offre artistique des populations éloignées des grands centres urbains. Dans un pays dont la superficie équivaut à celle de l’Italie, la logistique d’un tel projet soulève des défis notables. Mais, à Mouyondzi, le déploiement conjoint des collectivités locales, des forces de maintien de l’ordre et des opérateurs télécoms a illustré la capacité de coordination institutionnelle. La scène érigée au jardin public, équipée d’un éclairage LED basse consommation, a été alimentée par un groupe électrogène financé dans le cadre du Fonds de soutien à la création. L’événement apparaît ainsi comme un exercice de diplomatie intérieure : il renforce la confiance entre citoyens et autorités en rendant visibles, hors de Brazzaville, les retombées du Plan national de développement 2022-2026 qui consacre la culture comme facteur de cohésion.
Le pouvoir d’attraction du reggae congolais
Le reggae, héritier d’une longue histoire de contestations pacifiques, résonne de manière singulière au Congo-Brazzaville. Porté par la voix rauque et nuancée de Patrick Bikoumou, Conquering Lions conjugue l’héritage de Bob Marley et la narration sociale congolaise. Les textes, articulés en lingala, en kituba et en français, abordent la vie quotidienne, le respect des aînés et l’écologie sans tomber dans le prosélytisme politique, préservant ainsi une neutralité appréciée des différentes sensibilités nationales. « Notre reggae est avant tout une invitation au vivre-ensemble », rappelle le chanteur, évoquant la volonté du groupe de dialoguer avec les réalités locales plutôt que de plaquer des schémas importés. L’adhésion du public, mesurée à l’intensité des chœurs spontanés et à la viralité des vidéos partagées sur les réseaux sociaux, confirme que cette forme musicale demeure un vecteur privilégié de la diplomatie culturelle congolaise.
Kiburikiri et identité locale : une fusion maîtrisée
Moment fort de la prestation, l’entrée sur scène de l’artiste Bissongolo, figure tutélaire du kiburikiri, a fait basculer le spectacle dans une dimension identitaire. En associant la cadence jamaïcaine aux percussions terriennes du district, le duo a épousé les codes de la danse circulaire pratiquée lors des rites agraires. L’hybridation sonore a servi de pont symbolique entre la jeunesse connectée et les gardiens de la tradition. « Il ne s’agit pas d’une simple collaboration artistique, mais d’une rencontre entre générations », analyse la musicologue Huguette Makosso, soulignant que ce type de fusion contribue à préserver les patrimoines immatériels tout en les rendant compétitifs sur la scène régionale. La séquence a d’ailleurs suscité une promesse : un enregistrement studio sera produit dans la capitale afin de diffuser le kiburikiri au-delà des frontières du district, conformément à l’objectif de rayonnement culturel défendu par les autorités.
Perspectives nationales et régionales
À l’heure où le marché musical africain capte l’attention des majors internationales, l’expérience de Mouyondzi offre plusieurs enseignements. Sur le plan domestique, elle confirme la pertinence d’une politique d’équité territoriale qui conjugue infrastructures légères et accompagnement des talents. À l’échelle de la sous-région, elle illustre la capacité du Congo à s’ériger en pourvoyeur de contenus diversifiés, aptes à nourrir la diplomatie d’influence de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Le prochain jalon de la tournée, annoncé à Ouesso, devrait tester la solidité du modèle dans un contexte forestier aux réalités logistiques singulières. Pour Patrice Nzéba, conseiller culturel à la présidence, « la culture demeure la voie la plus sûre pour tisser des solidarités durables ». Les vibrations de Mouyondzi laissent penser que, dans cette stratégie, le reggae et le kiburikiri ont trouvé leur place.