Un vote attendu
Les sénateurs congolais ont voté à main levée le projet de loi réorganisant la gendarmerie nationale, samedi 13 août, dans l’hémicycle du Palais du Peuple. La séance, ponctuée de débats nourris mais consensuels, marque l’aboutissement d’un chantier entamé après les dernières concertations sécuritaires nationales tenues deux mille dix-neuf.
Pour de nombreux observateurs, cette réforme d’apparence technique reflète une volonté politique claire : moderniser les forces intérieures afin de prévenir les menaces émergentes, de la cybercriminalité aux trafics transfrontaliers, tout en maintenant la stabilité reconnue du Congo-Brazzaville dans un contexte régional parfois agité et durablement protecteur encore.
Une architecture légale repensée
Le texte adopté remplace l’ordonnance de 2001, jugée inadaptée par les praticiens de terrain. Il définit plus précisément les attributions opérationnelles, détaille les chaînes de commandement et introduit des dispositions relatives à l’emploi de technologies numériques pour le renseignement ainsi que la protection des données sensibles désormais renforcée.
Selon le ministre de l’Intérieur Raymond Zéphirin Mboulou, «ces clarifications juridiques donneront aux unités l’agilité nécessaire pour agir vite, mais toujours sous contrôle du droit». L’affirmation a été saluée par la commission Défense, qui voit dans la loi un moyen d’écarter toute ambiguïté hiérarchique sur le terrain national.
Police et gendarmerie, rôles clarifiés
Plusieurs sénateurs ont interrogé le gouvernement sur la complémentarité entre police nationale et gendarmerie. Le ministre a rappelé que la première conservera le périmètre urbain tandis que la seconde demeurera compétente en zone périurbaine et rurale, évitant ainsi les doublons souvent dénoncés par les élus locaux ces dernières.
L’articulation sera appuyée par un protocole opérationnel en cours d’élaboration avec la Délégation générale à la sûreté nationale. Des officiers pilotes testent déjà la nouvelle répartition autour du corridor Pointe-Noire–Brazzaville, considéré comme un laboratoire stratégique en raison de son intense activité économique et des flux logistiques associés majeurs.
Un effort de formation ambitieux
La mise en œuvre de la loi suppose un programme de formation continue. Le Centre d’instruction de Djoué et l’École de gendarmerie de Oyo accueillent depuis juin des sessions axées sur les techniques d’enquête scientifique, le maintien de l’ordre gradué et la maîtrise d’outils cartographiques satellitaires de pointe.
«Nous voulons des personnels capables d’intervenir sur un incident cyber ou un conflit communautaire avec la même rigueur», explique le colonel Daniel Mabiala, responsable pédagogique. Le cursus inclut aussi des modules de droits humains, un aspect jugé indispensable pour renforcer la confiance des populations dans toutes les localités.
Accès au commandement et méritocratie
Conformément à la Constitution, les postes de commandement reviennent aux officiers généraux. Toutefois, la loi rappelle que le chef de l’État peut promouvoir un officier supérieur en cas de mérite exceptionnel. Cette flexibilité est perçue comme un moyen d’encourager le travail et les carrières exemplaires nationalement dans l’armée.
Pour le sociologue Jean-Blaise Tchicaya, cette disposition «ouvre des perspectives aux jeunes officiers formés à l’étranger, porteurs de compétences nouvelles». Il estime toutefois que la transparence des promotions devra être régulièrement publiée pour prévenir les soupçons de favoritisme, récurrents dans les bilans d’ONG internationales sur la gouvernance sécuritaire.
Défis sécuritaires régionaux
La modernisation de la gendarmerie intervient alors que la sous-région connaît des tensions, du Sahel au bassin du Congo. Les autorités veulent se préparer à d’éventuelles menaces asymétriques pouvant profiter des frontières forestières poreuses, notamment dans la zone de la Sangha et du Likouala selon des analystes militaires.
Brazzaville mise aussi sur la coopération multinationale. Les officiers gendarmes participent régulièrement aux exercices africains de maintien de paix, et le nouveau texte évoque explicitement la possibilité de détachement à l’extérieur, facilitant l’interopérabilité avec les partenaires de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale déjà très active.
Perceptions citoyennes
À Brazzaville, les résidents interrogés disent attendre des résultats concrets. «Nous souhaitons voir plus de patrouilles nocturnes dans les quartiers périphériques», explique Clarisse Mavoungou, commerçante à Talangaï, soulignant que les cambriolages restent un sujet d’inquiétude malgré les efforts de sécurisation déjà constatés ces derniers mois par les autorités.
Pour l’ONG Observatoire congolais des droits de l’Homme, la réforme offre l’occasion de renforcer le dialogue avec les populations. L’organisation propose la création d’un numéro vert unique permettant de signaler les abus éventuels, de façon à consolider la redevabilité et à accroitre la culture de proximité déjà amorcée.
Calendrier et mise en application
Après l’adoption définitive, le texte sera promulgué par le président Denis Sassou Nguesso puis publié au Journal officiel. Les décrets d’application, élaborés avec le ministère de la Défense, devraient suivre avant décembre, afin que la nouvelle organisation opère pleinement au premier trimestre 2025 selon le calendrier gouvernemental prévisionnel.
Les parlementaires ont demandé un rapport annuel d’évaluation pour mesurer l’impact réel de la loi, tant sur la criminalité que sur les conditions de travail des agents. Cette obligation de résultat, inédite dans le secteur, pourrait devenir un standard pour d’autres réformes institutionnelles futures selon plusieurs acteurs politiques.