Port de Pointe-Noire : un pivot géostratégique en pleine ascension
Dans le golfe de Guinée, le port en eaux profondes de Pointe-Noire occupe une place singulière au sein de l’architecture maritime africaine. Situé à l’intersection des couloirs commerciaux reliant l’Atlantique Sud à l’hinterland d’Afrique centrale, il aspire depuis plusieurs années à devenir la porte océanique des pays enclavés que sont la République centrafricaine et le Tchad, tout en demeurant un relais pour le trafic angolais et gabonais. Les choix d’investissement récents confirment une trajectoire de montée en puissance, alignée sur l’ambition présidentielle de diversification économique et d’intégration régionale.
L’arrivée, entre juin et juillet 2025, de sept nouveaux portiques de parc à roues (RTG) traduit concrètement cette vision. Ces équipements de 40 tonnes, capables de gerber cinq hauteurs de conteneurs sur sept travées, renforcent la compétitivité d’un terminal qui a déjà franchi le seuil symbolique du million d’EVP annuel. Leur déploiement n’est pas qu’un simple apport d’acier ; il renvoie à une diplomatie des infrastructures fondée sur l’ouverture commerciale et la solidarité sous-régionale, deux notions régulièrement mises en avant par Brazzaville dans les enceintes de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
Un saut capacitaire déterminant pour la logistique congolaise
Les gains attendus sont immédiats. Les RTG autorisent une réduction sensible des temps d’attente, fluidifient les manœuvres des navires de 366 mètres de nouvelle génération et augmentent la densité de stockage sans étendre l’emprise foncière du terminal. Selon Sandrine Wamy, directrice d’exploitation de Congo Terminal, « l’interconnectivité africaine passe d’abord par la maîtrise des coûts logistiques ». En offrant plus de cadence et moins de goulots d’étranglement, l’opérateur espère abaisser de manière structurelle le coût du fret, un enjeu que les pouvoirs publics font converger avec la lutte contre la vie chère.
D’un point de vue industriel, les sept machines portent la flotte à 33 RTG, complétée par 8 portiques de quai STS, 5 grues mobiles et 11 reachstackers. Le ratio engins/EVP traité place désormais Pointe-Noire dans la moyenne haute des terminaux africains comparables. Cette modernisation s’inscrit dans le programme d’investissements de près de 150 millions d’euros engagé par Africa Global Logistics (AGL) en partenariat public-privé avec l’État, partenariat qui demeure un marqueur de la politique congolais de promotion du capital-investissement productif.
Retombées locales : emploi, formation et montée en compétences
Au-delà des chiffres, le renforcement capacitaire agit comme un catalyseur social. Les RTG nécessitent une rotation de trois opérateurs par engin, 24 heures sur 24. Une vague de recrutements ciblés a donc été lancée, doublée d’un cursus de formation élaboré avec l’École du Génie Industriel de Pointe-Noire et le soutien de l’Agence nationale de l’emploi. Ce schéma illustre la volonté des autorités de privilégier la valeur ajoutée locale plutôt que l’importation de main-d’œuvre spécialisée.
Le transfert de compétences constitue en outre un gage de durabilité. L’obtention récente des certifications ISO 9001 et Green Terminal atteste de la montée en gamme des standards opérationnels, mais aussi environnementaux, répondant aux attentes grandissantes des chargeurs internationaux et des institutions financières multilatérales. Dans un contexte où les chaînes logistiques se veulent à la fois plus résilientes et plus vertes, le Congo se positionne comme un partenaire fiable, capable de conjuguer performance et responsabilité.
Une pièce maîtresse de l’intégration régionale et de l’AfCFTA
L’impact des nouveaux portiques dépasse les frontières nationales. Depuis l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA), les corridors Pointe-Noire-Brazzaville-Bangui et Pointe-Noire-Ndjamena sont appelés à se densifier. Le port devient le premier maillon d’une chaîne logistique qui s’étire jusqu’au Sahel, offrant une alternative maritime au port soudanais de Port-Soudan ou au nigérian d’Apapa, souvent congestionnés.
La diplomatie économique congolaise mise sur cette fenêtre d’opportunité pour renforcer sa stature dans les enceintes africaines. Les initiatives conjointes menées avec la Banque africaine de développement pour moderniser la route nationale 1 ou encore les discussions autour d’une possible connexion ferroviaire transfrontalière traduisent une cohérence stratégique. À terme, l’essor du terminal suggère une redistribution des flux et un potentiel d’attraction de lignes maritimes directes Asie-Atlantique Sud, accentuant la centralité congolaise au sein du commerce Sud-Sud.
Perspectives 2027 : cap sur 2,4 millions d’EVP
Le scénario à moyen terme affiche une ambition chiffrée : 2,4 millions d’EVP par an dès 2027, portée par la mise en service de la nouvelle plateforme du Môle Est. Pour y parvenir, Congo Terminal prévoit d’étoffer sa flotte d’équipements, de réviser continuellement son système d’exploitation Navis 4 et d’introduire l’automatisation partielle des parcs. Les autorités portuaires, de leur côté, intensifient la réforme douanière afin de rapprocher le standard de dédouanement des 48 heures prôné par l’Organisation mondiale des douanes.
En dernière analyse, l’entrée en lice des sept RTG symbolise un pari assumé sur la profondeur : profondeur physique, avec des quais capables d’accueillir 16,5 mètres de tirant d’eau, mais aussi profondeur stratégique, celle d’un pays qui entend capitaliser sur sa façade maritime pour élargir son espace économique. Le Congo consolide ainsi son image de partenaire logistique fiable, conformément au mot d’ordre exprimé par les autorités : « faire de Pointe-Noire le carrefour incontournable du Golfe de Guinée ».