Pointe-Noire, carrefour vital du Golfe de Guinée
Longtemps perçu comme un simple totem d’eau profonde niché à l’extrémité occidentale du Congo, le port de Pointe-Noire s’est hissé ces dix dernières années au rang de poumon logistique pour l’ensemble du Golfe de Guinée. Les unités pétrolières offshore, les couloirs miniers du Katanga comme les marchés de consommation de Kinshasa ou de Bangui convergent vers cette rade naturelle dont les tirants d’eau exceptionnels autorisent l’accueil des post-Panamax de 366 mètres. Dans cette dynamique, la récente livraison de sept portiques de parc à roues (RTG) constitue un jalon stratégique, tant pour le terminal géré par Congo Terminal – filiale d’Africa Global Logistics – que pour l’État congolais, désireux de consolider sa place dans les réseaux d’échanges continentaux.
Une montée en gamme technologique pensée pour durer
Ces RTG de dernière génération affichent une capacité de levage de quarante tonnes, cinq hauteurs de conteneurs et sept travées couvertes. Ils s’inscrivent dans une logique de « terminalisation » marquée par l’automatisation partielle des opérations et la systématisation de la gestion numérique des flux. Selon la direction d’exploitation de Congo Terminal, chaque engin nécessite trois opérateurs travaillant en roulement, d’où un plan de recrutement et de formation mené en partenariat avec l’École nationale de la marine marchande de Pointe-Noire. La manœuvrabilité accrue des portiques réduit le temps d’attente sur les parcs, fluidifie l’approche navires et augmente de près de 15 % la capacité de stockage, condition sine qua non pour absorber la croissance à deux chiffres du trafic conteneurisé enregistrée depuis 2020.
Synergies publiques-privées et gouvernance portuaire
S’appuyant sur une concession de trente ans conclue en 2009, le partenariat public-privé associant l’État congolais et Africa Global Logistics illustre l’orientation volontariste de Brazzaville en matière d’infrastructures stratégiques. Le montage financier – mêlant capitaux privés, facilités de la Banque africaine de développement et garanties souveraines – a permis de mutualiser les risques tout en préservant la souveraineté de la plateforme. Plusieurs hauts responsables du ministère des Transports soulignent que la gouvernance tripartite, réunissant régulateur public, autorité portuaire et opérateur, a réduit les coûts de passage portuaire de 12 % en cinq ans, sans peser sur la compétitivité des armateurs.
Effets macroéconomiques et intégration régionale
Le franchissement du cap symbolique du million d’EVP manipulés en 2022 et 2023 place Pointe-Noire dans le peloton de tête des hubs d’Afrique centrale, devant Douala et à égalité avec Tema pour le trafic de transbordement. Cette performance génère des externalités positives pour l’économie congolaise : 4 000 emplois directs, plus de 12 000 emplois induits dans la manutention, la logistique routière et l’assurance maritime, ainsi qu’une contribution fiscale évaluée à 90 milliards de francs CFA annuels. À l’échelle régionale, le port sert de porte d’entrée à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), facilitant la circulation des produits agro-industriels gabonais vers l’Angola et de la filière bois congolaise vers l’Asie.
Cap sur la durabilité et la responsabilité sociale
La montée en puissance opérationnelle s’accompagne d’engagements environnementaux. Les nouveaux RTG, équipés de moteurs Stage V, réduisent les émissions de CO₂ de 30 % par mouvement. Parallèlement, une centrale solaire de deux mégawatts, cofinancée par l’Agence congolaise pour la transition écologique, devrait couvrir un quart de la consommation électrique du terminal d’ici à 2025. Sur le plan social, l’opérateur finance un programme de bourses techniques pour les jeunes de la région du Kouilou et pilote un centre de santé communautaire, signe d’une approche inclusive prônée par les autorités nationales.
Perspectives 2027 : entre prudence et ambition maîtrisée
Avec la mise en service attendue de la plateforme du Môle Est, la capacité globale devrait franchir le seuil de 2,4 millions d’EVP par an, rapprochant Pointe-Noire des hubs méditerranéens de taille moyenne. Le calendrier retenu, validé par le Conseil des ministres, se veut réaliste et progressif afin de limiter les goulots d’étranglement routiers à la sortie du port. Les analystes de CABRI-Research estiment que chaque tranche de 500 000 EVP additionnels pourrait ajouter 0,5 point de pourcentage au PIB congolais, sous réserve d’une coordination renforcée avec les corridors ferroviaires Congo-Océan et Kinshasa-Ilebo. Dans ce jeu d’équilibriste, le gouvernement congolais et ses partenaires privés entendent démontrer que la modernisation d’une infrastructure critique peut servir de levier à la fois économique, diplomatique et sociétal pour l’ensemble de la sous-région.