Une donation qui dépasse la symbolique pharmaceutique
Dans le calme feutré de la salle de conférence de l’hôpital de l’amitié sino-congolaise de Mfilou, la remise officielle de médicaments et d’équipements d’une valeur de 27,51 millions FCFA aura paru, à première vue, n’être qu’un acte philanthropique parmi d’autres. Pourtant, ce geste s’inscrit dans une tradition, vieille de plusieurs décennies, de missions médicales chinoises dépêchées sur le continent africain. Depuis 1966, plus de 1 200 praticiens chinois se sont relayés au Congo-Brazzaville, rappelait récemment le ministère congolais de la Santé (Ministère de la Santé, 2023). Sur le plan strictement sanitaire, l’apport est mesurable : les anti-inflammatoires, antipaludéens et antibiotiques remis le 5 août répondent à la recrudescence saisonnière du paludisme et des infections respiratoires, deux affections responsables de près de 40 % des consultations externes à Brazzaville selon l’OMS (2022).
Au-delà de la réponse immédiate à la demande pharmaceutique, la cérémonie présidée par le chef de mission, Wang Zhitao, et le directeur de cabinet du ministre Donatien Moukassa, a mis en scène une chorégraphie diplomatique soigneusement ajustée. En confiant le colis humanitaire au représentant gouvernemental congolais avant son acheminement vers le directeur de l’hôpital, Pékin réaffirme son respect des hiérarchies institutionnelles locales, geste apprécié par les chancelleries occidentales comme par les bailleurs multilatéraux.
La santé, nouveau terrain d’expression du partenariat stratégique
L’axe Brazzaville-Pékin, officialisé dès 1964, a longtemps reposé sur l’exploitation des hydrocarbures et la construction d’infrastructures linéaires. Depuis les années 2010, la diplomatie sanitaire a pris le relais, conformément au Livre blanc chinois sur la coopération internationale pour la santé publié en 2021. Le don à Mfilou complète un panel plus large d’initiatives : érection du Centre national de santé publique à Brazzaville, formations de cadres sanitaires congolais à Chengdu, ou encore construction de dispensaires satellites dans les districts forestiers du Niari.
Ces projets dialoguent avec le Plan national de développement 2022-2026 promu par le président Denis Sassou Nguesso, lequel fait de la couverture sanitaire universelle un levier d’inclusion sociale et de diversification économique. L’interfaçage des deux agendas confère à la coopération une valeur de co-construction plutôt que de dépendance, perception confirmée par le professeur Aimé-Gildas Balod, économiste de la santé à l’université Marien-Ngouabi : « La Chine ne se contente plus de bâtir des ponts de béton ; elle bâtit aussi des ponts de compétences ».
Soft power ou realpolitik ? Les ressorts géopolitiques d’une seringue
Dans le champ de la géopolitique, la donation du 5 août illustre ce que certains analystes qualifient de « diplomatie de la seringue ». Alors que le paysage africain se recompose sous la poussée de nouvelles puissances médianes, Pékin consolide son image de partenaire fiable, capable de livrer rapidement des intrants critiques. Durant la pandémie de COVID-19, treize cargaisons de vaccins Sinopharm et Sinovac avaient déjà atterri à Maya-Maya, précédant la venue d’équipes d’épidémiologistes chinois.
Pour Brazzaville, cette convergence est doublement utile. Elle diversifie les partenariats sans se départir de la logique de non-alignement traditionnelle de la diplomatie congolaise, et elle renforce un narratif de souveraineté sanitaire soutenu par le gouvernement. En filigrane, la Chine obtient un adossement politique précieux dans les instances onusiennes, comme l’illustrent les votes congruents des deux capitales sur des résolutions relatives à la gouvernance numérique.
Impact sur le plateau technique et l’économie locale
L’apport d’équipements médico-chirurgicaux — moniteurs multiparamétriques, lampes scialytiques et aspirateurs chirurgicaux — rehausse la capacité opératoire de l’hôpital de Mfilou, qui draine chaque année plus de 120 000 patients issus des arrondissements périphériques de Brazzaville. À moyen terme, la réduction des évacuations sanitaires vers les cliniques privées pourrait générer une économie annuelle de 1,8 milliard FCFA pour l’assurance maladie obligatoire, estime la Direction générale du budget (2023).
Les retombées se liront également en capital humain : la mission chinoise, forte de vingt praticiens, animera des ateliers de chirurgie mini-invasive et de gestion de la chaîne du froid pharmaceutique, domaines où la pénurie de compétences est régulièrement soulignée par les organisations de santé régionales. Le volet formation, souvent relégué au second plan dans les accords de dons, se révèle ici déterminant pour inscrire la coopération dans la durée.
Vers une autonomie pharmaceutique progressive
Le gouvernement congolais ambitionne d’ériger à Kintélé une unité de production de médicaments essentiels en partenariat public-privé. Selon le ministre Gilbert Mokoki, les discussions avec plusieurs laboratoires, dont le chinois Fosun Pharma, auraient atteint un stade avancé. La donation à Mfilou préfigure ainsi une phase transitoire où l’aide matérielle précède le transfert de technologies et capitalise sur la confiance bilatérale.
Il serait exagéré d’y voir une panacée. Les défis logistiques, la soutenabilité budgétaire et la crise climatique pèsent sur le système de santé congolais. Néanmoins, la synergie constatée entre la feuille de route présidentielle et l’offensive de soft power chinoise offre aux diplomates un terrain d’expérimentation fécond pour le Sud global. Comme le résume une source onusienne à Brazzaville, « l’enjeu n’est pas seulement de guérir aujourd’hui, mais de fabriquer la santé de demain ».