Un monde multipolaire sous tension
Les images de Kiev, de Gaza ou de la mer Rouge rappellent chaque soir que la question de la paix n’est plus théorique. Dans un jeu d’alliances mouvantes, aucune capitale ne peut prétendre dicter seule les équilibres désormais fragmentés.
Cette multipolarité naissante génère des interférences inédites entre intérêts énergétiques, rivalités technologiques et considérations sécuritaires. Les mécanismes classiques de sécurité collective, pensés au lendemain de 1945, montrent leurs limites, tandis que les puissances régionales cherchent à élargir leur influence sur des terrains parfois instables.
Pour les experts du Stockholm International Peace Research Institute, la dépense militaire mondiale a atteint un record absolu en 2023. Cette envolée budgétaire, expliquent-ils, reflète la peur d’un monde sans gardien unique et complique les tentatives de médiation multilatérale.
Le rôle des institutions internationales
L’Organisation des Nations unies conserve un capital symbolique majeur, mais ses résolutions sont souvent paralysées par le droit de veto. Face aux urgences humanitaires, ce blocage nourrit un scepticisme croissant chez les jeunes générations connectées aux réseaux sociaux.
Le secrétaire général António Guterres plaide pour un Conseil de sécurité plus représentatif. Dans cette perspective, l’Afrique, forte de cinquante-quatre États, revendique une voix permanente. Plusieurs diplomates congolais estiment qu’une telle réforme donnerait plus de poids aux priorités du continent.
Au-delà des débats de gouvernance, l’ONU multiplie les initiatives de prévention. Son agenda Femmes, Paix et Sécurité, salué par Brazzaville, met l’accent sur la protection des civiles et l’inclusion des femmes négociatrices, deux conditions identifiées comme accélératrices de résolutions durables.
L’Église comme voix morale
Sur le continent, les conférences épiscopales restent des médiatrices écoutées, en particulier lorsqu’elles dialoguent avec les pouvoirs publics. À Pointe-Noire, Mgr Miguel Olaverri souligne que « la paix sociale suppose le respect de la dignité, pilier non négociable ».
Cette position rejoint l’encyclique Fratelli tutti du pape François, qui invite à rejeter la « culture du déchet » pour construire des alliances fraternelles. Au Congo, les aumôniers universitaires développent des ateliers où étudiants et policiers débattent ensemble des devoirs réciproques.
Le politologue Thierry Vircoulon observe que « l’assise morale de l’Église lui permet de rappeler les normes sans être perçue comme une menace politique ». Cette neutralité confère aux prêtres et pasteurs un rôle d’alerte sur les conflits locaux liés aux terres.
La diplomatie congolaise à l’épreuve
Brazzaville mise depuis plusieurs années sur une diplomatie de médiation discrète. Le président Denis Sassou Nguesso a, par exemple, facilité des pourparlers interlibyens en 2021, démarche saluée par l’Union africaine et par plusieurs chancelleries occidentales pour son pragmatisme.
Selon le ministère congolais des Affaires étrangères, le pays participe à douze missions de maintien de la paix, notamment en Centrafrique. Cette présence, rarement médiatisée, procure aux contingents une expérience opérationnelle tout en projetant l’image d’un partenaire fiable au sein de l’ONU.
Pour l’analyste Nathalie Yamb, « les médiations africaines gagnent en crédibilité lorsqu’elles s’ancrent dans un engagement militaire mesuré et légaliste ». La doctrine congolais du non-alignement actif s’inscrit dans cette ligne, cherchant à dialoguer sans imposer de modèle.
Éducation à la paix et responsabilité citoyenne
Les écoles de Brazzaville expérimentent depuis 2022 un module titré Culture de la paix. Conçu avec l’UNESCO, il combine histoire, droit et théâtre forum pour aider les élèves à identifier les discours de haine et à privilégier la médiation.
Le sociologue Michel Kanda note que l’exposition précoce aux réseaux sociaux a intensifié la circulation de rumeurs. Doter la jeunesse d’outils de vérification devient donc un impératif sécuritaire. Les premiers retours d’enseignants font état d’une baisse des altercations dans les cours d’école.
Les entreprises privées se joignent aussi à l’effort. Une banque de la place soutient un programme de volontariat interquartiers, où causeries sportives et ateliers numériques servent de passerelle. Le secteur productif y voit une manière de consolider un climat propice aux investissements.
Vers une paix inclusive et durable
Les spécialistes s’accordent à dire que l’accumulation d’initiatives locales ne suffit pas sans un cadre international rénové. L’ambition affichée de la Zone de libre-échange continentale africaine pourrait offrir un levier économique capable de réduire les rivalités autour des ressources.
Pour la économiste Hélène Embo, « la paix et le développement forment un couple indivisible. Une croissance inclusive abaisse mécaniquement les facteurs de radicalisation ». Elle plaide pour des partenariats technologiques qui intégreraient la jeunesse africaine dans les chaînes de valeur mondiales.
Qu’il s’agisse de chancelleries, de paroisses ou de startups, chaque acteur détient une pièce du puzzle. Les Congolais interrogés rappellent cependant que seule la confiance recolle les fragments. La paix durable demeure un chantier collectif, exigeant constance politique et vigilance citoyenne.
La prochaine réunion de l’Assemblée générale de l’Union africaine, prévue à Addis-Abeba, devrait entériner une feuille de route continentale sur la prévention des conflits. Brazzaville y prépare une proposition axée sur la formation aux métiers verts, considérant le bassin du Congo comme laboratoire climatique et pacifique.