Brazzaville s’aligne sur les normes internationales
Réuni mercredi à Brazzaville, le Conseil des ministres a adopté une communication détaillée du ministre de l’Économie, Ludovic Ngatse, sur la bascule vers le Système de comptabilité nationale 2008, pivot d’une modernisation statistique présentée comme « indispensable » pour accompagner la reprise économique.
Devant ses collègues, le ministre a rappelé que le Congo utilise encore le référentiel de 1993, désormais jugé trop étroit pour décrire des activités telles que la vente en ligne, l’exploitation artisanale ou la contribution des forêts, pourtant essentielles à la croissance nationale.
Un changement de base aux ambitions larges
Le SCN 2008 est la version la plus récente du manuel élaboré par la Commission statistique des Nations unies. Elle recommande un changement de base qui intègre des flux financiers complexes, les chaînes de valeur internationales et l’usage intensif des technologies numériques dans les transactions courantes.
À court terme, cette mise à jour devrait produire un effet mécanique de revalorisation du produit intérieur brut, comme observé au Nigeria ou au Ghana après des exercices similaires. Une hausse estimée entre 15 % et 25 % est souvent évoquée par les spécialistes régionaux.
Comptabiliser l’économie informelle congolaise
Pour Ludovic Ngatse, l’un des gains majeurs réside dans la capacité du nouveau référentiel à mesurer l’économie informelle, laquelle représente, selon la Banque mondiale, plus de 40 % de l’activité au Congo. Son invisibilisation actuelle biaise les diagnostics et complique la planification budgétaire.
En chiffrant précisément les échanges de rue, les petits ateliers ou le transport artisanal, le ministère espère identifier des niches de fiscalisation douce, renforcer la protection sociale des travailleurs concernés et calibrer des politiques de formalisation progressive adaptées aux réalités locales.
Moderniser la mesure des services numériques
L’explosion du mobile money, du commerce en ligne et des plateformes de streaming bouleverse les circuits économiques traditionnels. Le SCN 2008 propose des nomenclatures capables de capter ces nouveaux services, dont la contribution au revenu national reste encore mal estimée.
Selon l’Autorité de régulation des postes et communications électroniques, les transactions digitales ont progressé de 55 % en valeur sur deux ans. Leur intégration complète dans les comptes nationaux devrait clarifier leur poids réel et attirer des investisseurs spécialisés dans la fintech et les télécommunications.
Capital naturel et PIB, une valorisation attendue
Le Congo, couvert à plus de 60 % par la forêt, ambitionne de valoriser ce patrimoine écologique dans son PIB. Le SCN 2008 recommande d’estimer les services écosystémiques, du stockage carbone à la biodiversité, afin de refléter leur contribution économique et leur potentiel de financement vert.
Plusieurs pays d’Amérique latine ont déjà testé des comptes environnementaux satellites. Inspiré par ces expériences, Brazzaville veut disposer d’arguments chiffrés pour négocier des crédits carbone et des partenariats publics-privés consacrés à la restauration des sols, explique un conseiller technique du ministère.
Sécurité fiscale et recettes publiques accrues
La migration vers le SCN 2008 s’accompagne d’un renforcement des contrôles de cohérence entre sources administratives, déclarations fiscales et enquêtes de terrain. Cette triangulation doit réduire la fraude et élargir l’assiette, gage d’un accroissement durable des recettes sans hausse de taux.
Le trésor public anticipe une meilleure prévisibilité des flux, facilitant la programmation budgétaire pluriannuelle. « Nous pourrons calibrer nos émissions de titres publics avec plus de sérénité », avance un cadre de la Direction générale du trésor qui juge l’initiative cruciale pour la consolidation budgétaire.
Crédibilité internationale renforcée
Les institutions de Bretton Woods exigent des statistiques à jour pour apprécier la soutenabilité de la dette et calibrer leurs appuis. Le passage au SCN 2008 placera le Congo au même niveau que la majorité des pays d’Afrique australe et de l’Ouest déjà convertis.
Cette convergence devrait aussi rassurer les agences de notation quant à la fiabilité des agrégats. Moody’s a récemment indiqué suivre de près les révisions de PIB opérées dans la région, considérant qu’elles améliorent la transparence et réduisent la prime de risque souverain.
Étapes de la transition et calendrier annoncé
Le ministère a prévu une feuille de route en trois phases. La première, d’ici décembre, consiste à mettre à jour les nomenclatures et former les statisticiens. Viendra ensuite la collecte de nouvelles données courant 2024, puis la diffusion des comptes révisés au premier semestre 2025.
Un comité national de pilotage, regroupant l’Institut national de la statistique, la Banque centrale et la société civile, se réunira chaque trimestre pour suivre les indicateurs de performance. Un appui technique du FMI et de la Banque africaine de développement est également prévu.
Avis d’experts et attentes du secteur privé
Pour Rodrigue Mayelet, économiste à l’Université Marien-Ngouabi, l’adoption du SCN 2008 « permettra d’éclairer le débat public sur la diversification, en montrant la vraie place des services et de l’agroforesterie ». Il estime toutefois crucial de garantir la diffusion gratuite des données mises à jour.
Du côté des entreprises, le patronat salue un projet « susceptible de fluidifier la relation avec les bailleurs ». Les start-up, quant à elles, attendent une reconnaissance comptable qui facilitera l’accès au crédit et la négociation de partenariats transfrontaliers, souligne la Fédération congolaise des industries numériques.