Un dernier adieu national
Le Palais des congrès de Brazzaville a résonné d’un recueillement rare le 12 août. Au premier rang, le président Denis Sassou Nguesso a conduit la nation dans un hommage solennel à l’ancien président de la Cour constitutionnelle, Note Agathon, décédé le 22 juillet à 88 ans.
Le cercueil drapé des couleurs nationales, entouré de la garde républicaine, a rappelé l’envergure de ce haut fonctionnaire qui, pendant six décennies, a traversé les ministères, les écoles d’administration et la magistrature, sans jamais rompre le fil d’un engagement constant envers l’État.
Dans l’assemblée, les membres de sa famille, les dignitaires coutumiers et les étudiants de l’École nationale d’administration ont partagé un même silence. Puis l’hymne national a retenti, marquant l’accord entre mémoire individuelle et destin collectif, un moment que beaucoup ont décrit comme « simple et digne ».
Un parcours éclectique au cœur des institutions
Auguste Iloki, actuel président de la Cour constitutionnelle, a rappelé que son prédécesseur « assumait chaque mission avec un sens élevé du devoir », soulignant sa rigueur éthique et son goût pour la pédagogie administrative, traits qui, selon lui, « ont façonné plusieurs générations de cadres civils ».
Né en 1935 à Mossaka, Note Agathon avait rejoint la fonction publique au début des années 1960, lorsque le Congo traçait encore les contours de sa souveraineté. Son premier poste, directeur du Travail, l’a placé au cœur des négociations sociales d’une république naissante.
Trois ans plus tard, il prenait la tête de la Direction générale du Travail puis, en 1972, de la Fonction publique. Ces positions charnières lui ont permis d’imprégner l’administration d’une culture de compétence que d’anciens collègues évoquent encore avec admiration.
Son passage à la direction de l’École nationale d’administration a consolidé sa réputation de bâtisseur. L’établissement, créé pour professionnaliser la haute fonction publique, a vu son offre de formation s’élargir sous son impulsion, intégrant le droit, la gestion et la planification stratégique.
L’impact sur la justice constitutionnelle
La nomination de Note Agathon à la tête de la Cour constitutionnelle en 2003 représentait une consécration. Durant son mandat, il a présidé à la validation de plusieurs scrutins, veillant à l’équilibre entre stabilité institutionnelle et respect des droits fondamentaux, dans un contexte de démocratisation progressive.
Les juristes rappellent qu’il insistait sur « l’argument juridique avant l’opinion ». Cette méthode, fondée sur la lisibilité des décisions et la confrontation des points de vue, a contribué à asseoir la crédibilité de l’instance, renforçant la confiance du public dans l’architecture constitutionnelle.
Une figure de modernisation administrative
Au-delà de la magistrature, l’ancien inspecteur général d’État s’est aussi investi dans la modernisation des entreprises publiques. Son passage à l’Office national du commerce puis à l’Usine des tissus synthétiques a introduit des pratiques de reporting et de contrôle qui demeurent des références, selon le ministère du Commerce.
Son expertise a en outre été sollicitée pour la gouvernance hospitalière. Directeur général du Centre hospitalier et universitaire de Brazzaville en 1982, il avait initié une informatisation embryonnaire des archives médicales, anticipant l’importance des données dans l’amélioration de la qualité des soins.
Mémoire et transmission intergénérationnelle
Lors de la cérémonie, plusieurs étudiants ont porté des pancartes où l’on pouvait lire : « Agathon, l’exemple ». Pour Clémence Bongo, doctorante en droit public, « il prouve qu’une carrière administrative peut être aussi prestigieuse qu’un parcours politique, à condition de cultiver excellence et probité ».
La célébration a également mis en lumière la dimension régionale de son action. Des délégations venues du Gabon et de la République centrafricaine ont rappelé sa contribution aux programmes de coopération juridique d’Afrique centrale, renforçant la circulation des savoir-faire publics à l’échelle sous-régionale.
Les sociologues estiment que ces hommages participent à la consolidation d’une mémoire institutionnelle partagée. « En rendant visibles les carrières exemplaires, on offre aux jeunes un récit national fédérateur », analyse le professeur Jean-Marc Diangou, spécialiste des politiques publiques à l’Université Marien-Ngouabi.
Un legs qui nourrit l’avenir
Le chef de l’État, concluant la cérémonie, a invité la jeunesse à « s’inspirer de cet héritage d’abnégation ». Son allocution, brève, a souligné l’importance de l’unité nationale et de la stabilité, rappelant que la transmission de valeurs reste la meilleure garantie contre les incertitudes conjoncturelles.
En marge des discours, la famille a annoncé la création d’une fondation Note Agathon destinée à soutenir la recherche en droit public et à financer des stages pour les élèves administrateurs. Un projet salué par plusieurs partenaires internationaux, dont l’Organisation internationale de la Francophonie.
À l’issue de la levée du corps, le convoi funéraire a rejoint le cimetière du Centre-ville sous une pluie fine, comme pour sceller, dans la sobriété, l’alliance entre le passé et l’avenir. Le Congo a certes perdu un serviteur, mais son œuvre continue d’éclairer la route.