MTN renforce son leadership avec Karl Toriola
Le géant sud-africain des télécommunications MTN vient d’annoncer la nomination de Karl Toriola, actuel patron de la filiale nigériane, au poste de vice-président chargé de l’Afrique francophone. Une décision stratégique scrutée avec attention sur les rives du fleuve Congo.
La promotion place un dirigeant réputé pour son sens de l’innovation et son pragmatisme à la tête d’un portefeuille comprenant le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Congo-Brazzaville, quatre marchés où la connectivité mobile progresse deux fois plus vite que la moyenne africaine.
Un parcours forgé dans la performance
Entré chez MTN en 2006, Karl Toriola a dirigé successivement des opérations au Ghana, au Bénin puis au Nigeria, marché le plus compétitif du continent. Sous sa houlette, MTN Nigeria a franchi le cap crucial des 75 millions d’abonnés et dopé ses revenus data.
L’ingénieur de formation, diplômé de l’Imperial College de Londres, est reconnu pour avoir négocié avec les régulateurs nigérians une réduction historique de l’amende record infligée à l’opérateur en 2016, évitant ainsi une crise financière à la maison mère.
Pourquoi les marchés francophones comptent
Selon la GSMA, les pays francophones d’Afrique subsaharienne affichent un taux de pénétration smartphone passé de 33 à 48 % entre 2018 et 2023, stimulé par l’essor du paiement mobile et des contenus locaux en langue française, deux créneaux prioritaires pour MTN.
Le groupe revendique déjà plus de 25 millions de clients sur ces territoires, mais la marge d’expansion demeure importante. La couverture 4G, inférieure à 60 % dans certaines zones rurales, représente un gisement de croissance que Karl Toriola devra convertir en revenus durables.
Brazzaville, un laboratoire numérique
Avec près de huit millions de cartes SIM actives, le Congo-Brazzaville se positionne comme l’un des champs d’expérimentation de MTN pour les services fintech. La réforme du Code du numérique en 2022 a clarifié la fiscalité et ouvert la voie aux portefeuilles électroniques interopérables.
« Notre marché reste jeune et avide de solutions de paiement rapides », observe Adrien Ogou, économiste au Centre d’études congolais. Il estime que l’arrivée de Toriola à la tête de la région pourrait accélérer l’intégration du franc CFA dans l’écosystème Mobile Money.
Un environnement concurrentiel sous pression
Orange, Airtel et la start-up française Wave multiplient déjà les offres agressives sur la data et les commissions marchands. Pour rester compétitif, MTN compte déployer la technologie OpenRAN afin de réduire ses coûts de déploiement dans le bassin du Congo.
Cette approche, saluée par l’Alliance pour un Internet abordable, pourrait abaisser de 15 % les dépenses d’investissement initiales, tout en favorisant l’implantation d’antennes moins énergivores. Elle rejoint la priorité gouvernementale de baisse du prix du gigaoctet pour soutenir l’économie numérique locale.
Gouvernance et stabilité
Pour rassurer les investisseurs, MTN a maintenu Ferdinand Moolman au conseil jusqu’en 2025, avant qu’il n’assume la direction de la filiale sud-africaine. Le tandem Moolman-Toriola garantit, selon les analystes, une transition douce et la continuité des politiques de conformité.
La société s’est engagée à renforcer la transparence de ses rapports fiscaux, sujet sensible dans plusieurs capitales. « La régularité des paiements et la clarté des contrats sont un critère majeur pour attirer des partenaires publics », rappelle Didier Hien, consultant en régulation.
Innovation et inclusion
MTN ambitionne de lancer en 2024 un programme de smartphones subventionnés à moins de 20 000 francs CFA, couplé à des cours d’initiation au codage dans les lycées techniques de Brazzaville et Pointe-Noire, en partenariat avec le ministère de l’Enseignement.
Cette initiative s’aligne sur la stratégie nationale « Congo Digital » qui vise à former 10 000 développeurs d’ici 2025. Toriola a déclaré vouloir « transformer chaque smartphone en outil de création de valeur locale », soulignant le rôle clé des jeunes entrepreneurs.
Prochaines étapes
Les observateurs anticipent une possible introduction en Bourse de la filiale camerounaise dans les trois prochaines années, à l’image du listing nigérian réussi en 2019. Une opération qui permettrait de mobiliser des capitaux locaux tout en démocratisant l’actionnariat populaire dans la sous-région.
Au Congo-Brazzaville, la priorité immédiate reste l’extension de la fibre urbaine et la préparation à la 5G. Le régulateur Arpce finalise un nouveau cahier de charges, attendu début 2024, qui devrait fixer des obligations de couverture progressives pour tous les opérateurs.
Enjeu régional et perspectives
La nomination de Karl Toriola illustre la volonté de MTN d’ancrer son leadership dans la CEMAC et l’UEMOA, où plus de 120 millions de personnes restent hors ligne. Les premiers résultats de sa feuille de route seront suivis de près par les marchés.
À Brazzaville, nombre de start-ups voient dans cette nouvelle gouvernance une chance d’accéder à des API ouvertes et à des programmes d’incubation régionaux. Reste à concilier ambitions nationales et impératifs de rentabilité, un exercice d’équilibriste que Toriola connaît bien.
Pour l’heure, les investisseurs restent globalement optimistes. L’action MTN a gagné 4 % à Johannesburg dans la journée suivant l’annonce, signe que le marché mise sur la capacité du nouveau vice-président à convertir le potentiel francophone en valeur actionnariale.