Voitures sans plaques à Brazzaville : état des lieux
Dès l’aube, les embouteillages du boulevard Denis-Sassou-Nguesso laissent parfois surgir des berlines aux pare-brise fumés, dépourvues de toute plaque d’immatriculation. Le phénomène, longtemps marginal, retient désormais l’attention des chauffeurs de taxi comme des sociétés d’assurances.
Selon la Direction générale de la sécurité routière, plus d’une centaine d’infractions liées à l’absence ou à l’altération des plaques ont été relevées en trois mois, un chiffre supérieur de 27 % à la même période l’an dernier.
Les conducteurs interrogés invoquent des véhicules nouvellement importés, des pertes de plaques ou des procédures d’homologation en cours. D’autres, plus discrets, admettent profiter d’une lacune pour échapper aux amendes ou aux radars automatiques.
Impact sur sécurité routière et ordre public
Pour la juriste routière Francine Massamba, la plaque constitue « la carte d’identité du véhicule ; sans elle, traçabilité et responsabilité se dissolvent ». Les délits de fuite deviennent plus complexes à élucider, retardant les indemnisations des victimes.
La Préfecture de police recense également une hausse de braquages commis avec des véhicules non immatriculés. Les faits marquants de Talangaï, Mfilou et Tié-Tié ont nourri la méfiance des riverains, surtout la nuit.
Les assureurs redoutent un cercle vicieux : hausse des risques, donc primes plus élevées, puis désaffection de la couverture. « Nous révisons déjà certains barèmes », confie un cadre de la Compagnie Congolaise d’Assurances.
Au-delà de la criminalité, l’absence de plaques ralentit le travail statistique sur les flux automobiles, indispensable à la planification urbaine et à la lutte contre la pollution.
Actions gouvernementales de contrôle renforcé
Face aux inquiétudes, le ministère des Transports a lancé en février l’opération « Plaque claire, route sûre », combinant barrages filtrants et campagnes de sensibilisation diffusées sur Télé-Congo.
Le colonel Augustin Iloki, chef adjoint de la Sécurité publique, affirme que « tout conducteur interpellé dispose de 48 heures pour régulariser sa situation avant immobilisation définitive du véhicule ». Ces mesures auraient permis la mise aux normes de 620 voitures depuis mars.
La douane expérimente, pour sa part, un marquage provisoire doté d’un QR code apposé lors du dédouanement. Les forces de l’ordre peuvent le scanner pour vérifier l’authenticité de la démarche.
Un partenariat avec le Guichet Unique des Opérations Transfrontalières vise à raccourcir les délais d’obtention des plaques définitives, parfois bloqués par des vérifications d’origine ou des retards de paiement.
Des ateliers réunissant transporteurs, associations de motards et ONG de défense des usagers préparent un code de bonne conduite destiné à accompagner la répression par une pédagogie adaptée.
Témoignages de riverains et regards d’experts
Sur l’avenue de la Paix, Sylvain, livreur à moto, avoue lever le pied lorsqu’il voit un 4×4 sans plaque. « On ne sait jamais qui est dedans », soupire-t-il en ajustant son casque.
Pour l’économiste Élodie Ntsakala, la tolérance passée reposait sur la nécessité d’écouler rapidement les véhicules importés. « Les contrôles plus stricts peuvent paraître brusques, mais ils protégeront à terme les recettes fiscales de l’État ».
Le sociologue René Bikindou juge la peur du racket contre-productive : « Le citoyen joue le jeu si les procédures restent transparentes et les amendes raisonnables ».
Digitalisation et avenir du marquage congolais
Un projet de plaque électronique en aluminium laminé, résistante à la corrosion et munie d’une puce RFID, est à l’étude avec un consortium sino-congolais. Sa production locale pourrait créer 300 emplois dans la zone industrielle de Maloukou.
La Banque africaine de développement a déjà validé un appui technique pour interconnecter la future base de données avec les postes frontières, le fichier national des permis et celui des assurances.
À court terme, les autorités entendent multiplier les caméras intelligentes capables de lire les plaques et d’identifier l’absence de numérotation. L’expérimentation sur la corniche du centre-ville a donné des résultats jugés « prometteurs ».
Au-delà de la technologie, les experts rappellent l’importance de la confiance publique. Une vaste concertation est annoncée pour septembre afin de présenter au Parlement un projet de loi révisé sur la circulation routière, intégrant sanctions progressives et dispositifs d’aide au paiement échelonné des plaques.
Les usagers attendent désormais que cette impulsion se traduise par des routes plus sûres, où chaque véhicule, civil ou administratif, affiche clairement son identité.