Brazzaville, carrefour d’une parole féminine renouvelée
Durant quarante-huit heures, la capitale congolaise a résonné du verbe vif de plus de quatre cents participantes réunies dans l’enceinte du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique. Le « Mbongui », cet espace traditionnel de palabre où l’on écoute avant de décider, s’est métamorphosé en laboratoire d’idées autour du thème « Femmes africaines, piliers du développement durable et catalyseurs d’innovation ». En épousant la symbolique du feu de camp mbongui, la rencontre a placé la femme congolaise au centre d’un cercle d’égalité dialogique auquel étaient aussi conviés décideurs publics, diplomates en poste et représentants d’organisations internationales.
La promotrice, Splendide Lendongo Gavet, a rappelé dans un élan de fierté que « l’Afrique qui émerge ne saurait se construire sans la voix de celles qui en portent déjà le quotidien ». Par ces mots, elle a donné le ton d’un colloque où se sont mêlés témoignages d’entrepreneuses, plaidoyers d’universitaires et déclarations de bonne volonté ministérielles, notamment celles du ministre Rigobert Maboundou insistante sur le fait que « le développement durable ne sera pas africain s’il n’est pas féminin ». Cette dynamique d’engagement traduit l’ambition de Brazzaville de demeurer un carrefour diplomatique où s’élabore une grammaire inclusive du progrès.
Dialogue social et Agenda 2063 : convergences stratégiques
Le choix de travailler sur l’inclusion des femmes épouse sans conteste la première aspiration de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, à savoir « une Afrique prospère fondée sur la participation de tous ses citoyens ». En inscrivant leurs recommandations dans cette matrice continentale, les participantes congolaises alimentent une cohérence stratégique recherchée par les bailleurs multilatéraux. L’appel réitéré à associer les femmes aux négociations sociales nationales répond également à l’objectif 5 des ODD, confirmant la volonté de Brazzaville d’aligner ses politiques domestiques sur les standards onusiens sans sacrifier la souveraineté de son processus décisionnel.
Concrètement, la République du Congo a déjà porté le taux de représentation féminine au Parlement à près de 19 % lors des dernières législatives, un chiffre supérieur à la moyenne d’Afrique centrale mais encore éloigné du seuil paritaire. Les expertes réunies au Mbongui soutiennent que l’institutionnalisation d’instances consultatives féminines dans les comités de dialogue social pourrait accélérer le rythme. Elles arguent que la diversité cognitive générée par une présence accrue des femmes améliore la qualité des arbitrages publics, notion désormais documentée par la Banque mondiale qui observe une corrélation positive entre gouvernance inclusive et stabilité macro-économique.
Innovation féminine et diplomatie scientifique congolaise
La rencontre de Brazzaville a mis en lumière la diplomatie scientifique comme levier de rayonnement régional. Les ateliers consacrés à la blockchain agricole, aux bio-énergies et à la cybersécurité ont dévoilé un vivier féminin souvent méconnu. Certaines intervenantes, à l’instar de la chercheuse Nadège Ngoma, ont présenté des prototypes de filtres à eau utilisant la fibre de raphia, solution déjà saluée par l’UNESCO pour sa faible empreinte carbone. Ce genre d’innovation endogène participe de la « science au service du soft power », expression popularisée par Joseph Nye, et confère à Brazzaville un avantage comparatif dans la compétition des idées vertes sur le continent.
Le ministère de la Recherche scientifique s’est engagé, à travers un protocole d’accord signé en marge du forum, à doubler d’ici 2025 le budget des programmes pilotés par des équipes féminines. Cette disposition s’insère dans la stratégie nationale d’industrialisation à faible émission, qui envisage les femmes non comme simples bénéficiaires mais comme architectes du changement.
Gouvernance inclusive sous l’impulsion de Brazzaville
Si l’inclusion est un impératif moral, elle est également perçue par les autorités congolaises comme un outil de diplomatie préventive. Les consultations communautaires organisées dans le Pool après les inondations de 2022 ont en effet montré que la médiation féminine réduit la conflictualité et accélère la reconstruction. Selon un rapport interne du ministère de l’Intérieur cité lors du Mbongui, la présence des femmes dans les comités de résilience a diminué de 30 % le temps de négociation entre l’État et les chefs de village. Un argument de poids pour les bailleurs qui souhaitent optimiser l’efficacité de l’aide humanitaire.
Le président Denis Sassou Nguesso, souvent qualifié de doyen de la médiation régionale, a d’ailleurs salué dans un message écrit la « force tranquille des mères du Congo » et invité les partenaires étrangers à appuyer la montée en compétence féminine. Cette prise de position confirme une orientation déjà perceptible dans la politique nationale du genre adoptée en 2021, laquelle prévoit l’intégration systématique d’indicateurs sexués dans le suivi-évaluation des programmes publics.
Enjeux régionaux et coopération internationale
La posture congolaise intervient dans un contexte où la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) s’apprête à lancer un fonds d’appui à l’entrepreneuriat féminin. Brazzaville, siège de plusieurs agences spécialisées, ambitionne de jouer le rôle de plaque tournante pour l’affectation des ressources, en s’appuyant sur son expérience du Mbongui comme modèle de concertation. Des discussions préliminaires avec la Banque africaine de développement, rapportées par une source diplomatique européenne présente au forum, laissent entrevoir un guichet piloté par des expertes congolaises pour orienter les financements vers les chaînes de valeur agro-numériques.
Sur le plan bilatéral, le Canada et la République populaire de Chine ont manifesté leur intérêt pour cofinancer des bourses destinées aux chercheuses congolaises en ingénierie verte. Ces partenariats illustrent la manière dont la cause de l’inclusion féminine devient un vecteur d’attractivité, renforçant la visibilité internationale d’un Congo-Brazzaville soucieux de diversifier ses alliances tout en consolidant son image de havre de stabilité.
Perspectives d’un Mbongui élargi à 2026
Avant de refermer le cercle de palabre, les organisatrices ont annoncé la tenue de la prochaine édition du 30 au 31 juillet 2026 avec l’ambition d’y convier davantage d’acteurs publics étrangers. L’idée est de transformer le Mbongui en plateforme permanente de suivi, afin de mesurer les progrès réalisés sur la base d’indicateurs communs élaborés cette année. Les observateurs y voient une opportunité de renforcer la redevabilité sans rompre avec la souveraineté nationale, équilibre délicat mais indispensable dans un environnement international toujours plus exigeant.
Dans l’intervalle, les recommandations formulées à Brazzaville – inclusion systématique des femmes, financement ciblé de l’innovation et intégration des données genrées dans la planification – tracent une feuille de route réaliste. Elles témoignent d’un Congo qui choisit la voix du consensus plutôt que celle de l’injonction, fidèle à l’esprit du mbongui où, avant de se lever, chacun doit s’assurer que la parole de l’autre a été entendue.