Un anniversaire diplomatique à forte portée symbolique
Le 30 juillet, la résidence marocaine de Kintélé a pris des airs de mini-sommet africain. Autour d’Ahmed Agargi, chargé d’affaires du Royaume, diplomates, ministres et représentants du corps constitué congolais ont célébré le vingt-sixième anniversaire de l’accession du Roi Mohammed VI au trône. L’apparente solennité de la cérémonie masquait une dimension plus stratégique : rappeler que l’axe Rabat-Brazzaville demeure un marqueur structurant de la diplomatie sud-sud contemporaine.
« Nos deux pays doivent transformer la densité de leurs relations en un levier de développement partagé », a déclaré le diplomate marocain, faisant écho à la vision d’interdépendance exprimée de longue date par le Président Denis Sassou Nguesso. La présence remarquée du ministre congolais du Contrôle d’État, Gilbert Mokoki, traduisait la volonté de la partie congolaise de hisser ce partenariat au rang de priorité dans l’agenda gouvernemental.
Des liens bilatéraux enracinés dans l’histoire
Le Maroc et le Congo-Brazzaville ont noué leurs premières relations diplomatiques dès les années soixante, dans la foulée des indépendances africaines. Toutefois, c’est sous l’impulsion conjointe de Mohammed VI et de Denis Sassou Nguesso que l’amitié s’est muée en coopération structurée. Les visites d’État de 2006 et de 2017, ponctuées de signatures de protocoles dans l’agro-industrie, la formation et la logistique, ont balisé un chemin exigeant : bâtir une relation qui ne se limite ni aux échanges commerciaux ni aux convergences politiques, mais intègre aussi le capital humain.
Cette densité historique explique l’emploi récurrent du qualificatif « exceptionnel » dans les communiqués officiels. Elle confère surtout aux deux capitales la latitude nécessaire pour aborder des dossiers sensibles, qu’il s’agisse de la diversification économique congolaise ou de l’arrimage du Sahara marocain à un processus onusien d’autonomie.
La Grande Commission Mixte, catalyseur institutionnel
La récente réunion préparatoire de la troisième session de la Grande Commission Mixte à Brazzaville confirme la volonté d’installer un cadre pérenne de dialogue sectoriel. Cette instance, créée en 2010, fonctionne comme une plateforme de suivi des engagements et de projection de nouveaux projets. Les négociateurs y ont évoqué l’extension des liaisons aériennes entre Casablanca et Pointe-Noire, la création d’un fonds de garantie pour les PME ainsi que le déploiement d’un programme conjoint de bourses universitaires.
Pour Denis Christel Sassou Nguesso, ministre de la Coopération internationale, l’enjeu est limpide : « Nous voulons attirer le savoir-faire marocain sans perdre de vue l’objectif d’une industrialisation endogène ». De son côté, Rabat voit dans cette commission l’opportunité de consolider sa présence sur un marché d’Afrique centrale estimé à plus de 150 millions de consommateurs.
Infrastructures et transition énergétique : convergences stratégiques
Le Maroc, fort de ses succès dans le solaire à Ouarzazate et de ses hubs logistiques à Tanger-Med, propose un modèle d’infrastructures intégrées qui séduit Brazzaville. La République du Congo souhaite moderniser ses corridors fluviaux et ferroviaires en s’appuyant sur des montages public-privé dont les groupes marocains possèdent l’expertise. Le chantier du port en eaux profondes de Pointe-Indienne figure ainsi parmi les projets susceptibles de retenir l’intérêt de la Banque marocaine pour le commerce extérieur et d’Attijariwafa Bank.
Sur le front énergétique, les deux pays plaident pour une transition réaliste. Le Congo, doté d’un potentiel hydroélectrique considérable, étudie la possibilité de s’adosser au futur Gazoduc africain atlantique porté par Rabat et Abuja. Une telle interconnexion diversifierait les débouchés congolais et consoliderait la sécurité énergétique de l’Afrique de l’Ouest, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre — argument désormais décisif auprès des bailleurs internationaux.
Diplomatie panafricaine et gouvernance partagée
La dimension politique de la coopération s’affirme par un alignement mesuré sur les grands dossiers continentaux. Brazzaville a réitéré son appui à l’Initiative marocaine d’autonomie au Sahara, tandis que Rabat soutient les efforts de la Commission Climat du Bassin du Congo présidée par Denis Sassou Nguesso. Ce jeu de réciprocités nourrit une diplomatie d’influence qui dépasse le face-à-face bilatéral pour irriguer les enceintes de l’Union africaine et des Nations unies.
La vision « panafricaniste rénovée » mise en avant par Mohammed VI converge avec la doctrine congolaise d’une Afrique souveraine, solidaire et faiblement dépendante des bailleurs extrarégionaux. Les deux capitales promeuvent l’idée que la stabilité politique et la création d’emplois constituent la meilleure garantie contre les crises sécuritaires qui fracturent le continent.
Perspectives pour un partenariat porteur de stabilité
Les signaux envoyés depuis Kintélé laissent présager un approfondissement rapide des projets conjoints. La feuille de route 2024-2027, en cours de finalisation, devrait privilégier la valorisation agricole, la digitalisation des services publics et la mobilité étudiante. Autant de dossiers qui s’inscrivent dans la stratégie congolaise de diversification articulée autour du Plan national de développement 2022-2026.
En retour, le Maroc table sur l’émergence d’un corridor logistique Douala-Brazzaville-Pointe-Noire susceptible d’élargir l’hinterland de Tanger-Med vers le Golfe de Guinée. Cette géographie économique revisitée pourrait consacrer l’axe Rabat-Brazzaville comme l’un des vecteurs de la relance post-Covid en Afrique. Reste à inscrire cette ambition dans la durée. Sur ce point, Denis Sassou Nguesso et Mohammed VI ont déjà posé les jalons politiques ; il appartiendra maintenant aux opérateurs privés et aux administrations techniques de transformer la volonté en réalisations tangibles, avec en toile de fond la promesse d’un développement durable et partagé.