Une diplomatie en mouvement permanent
À l’heure où le multilatéralisme traverse une zone de turbulences, la République du Congo a choisi de répondre par l’itinérance. En moins de dix jours, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso a relié Libreville à Ankara en passant par onze capitales africaines, tissant un fil rouge entre enjeux culturels, sécuritaires et économiques. L’ultime escale turque, les 3 et 4 août, clôt un périple qui aura « montré la capacité du Congo à conjuguer proximité continentale et ouverture vers de nouveaux pôles d’influence », relève un diplomate ouest-africain présent lors de l’étape d’Abuja.
Cette boulimie de rencontres n’est pas un simple exercice de visibilité. Elle poursuit un double objectif : consolider le soutien à la candidature de Firmin Edouard Matoko au poste de directeur général de l’UNESCO et, en parallèle, inscrire durablement Brazzaville sur la carte des partenariats stratégiques Sud-Sud. Ankara, carrefour eurasiatique, se prête particulièrement à cet entrelacs d’ambitions.
Le pari congolais à l’UNESCO
En transmettant au vice-président Cevdet Yılmaz la missive personnelle de Denis Sassou Nguesso à son homologue turc, le chef du gouvernement congolais a rappelé « l’engagement d’un État africain à promouvoir une gouvernance culturelle inclusive ». Selon une source proche du Palais de Bestepe, la partie turque apprécie « le profil à la fois technique et politique » de M. Matoko, actuel sous-directeur général chargé des priorités globales à l’UNESCO. Sa trajectoire — passé par la direction des relations extérieures de l’Organisation et rompu aux arbitrages Nord-Sud — répond aux attentes d’une institution en quête de légitimité dans un monde fragmenté.
Ankara, qui inscrit depuis plusieurs années la coopération culturelle au rang de ses priorités de politique étrangère, évalue la candidature congolaise « avec un intérêt réel ». Si aucun engagement public n’a été formulé, l’on sait qu’en diplomatie le silence vaut souvent signal. Pour Brazzaville, obtenir un appui turc constituerait un jalon déterminant avant le vote des 58 membres du Conseil exécutif prévu l’an prochain.
Des convergences économico-stratégiques avec la Turquie
La visite ne s’est pas limitée aux salons feutrés du palais présidentiel. Sur le plan bilatéral, plusieurs dossiers ont été passés en revue, à commencer par le projet d’exploitation du gisement de fer de Mayoko. Lancement imminent de l’usine de transformation, modernisation du corridor ferroviaire Mbinda-Mayoko-Mont-Belo jusqu’à Pointe-Noire : autant d’infrastructures qui, une fois couplées, pourraient accroître significativement la compétitivité logistique régionale.
Le ministre turc de l’Énergie, Alparslan Bayraktar, a salué « la clarté de la feuille de route congolaise, qui associe valorisation minière, connectivité ferroviaire et respect des standards environnementaux ». Pour Brazzaville, la participation d’entreprises turques au financement et à la réalisation de ces chantiers ancre la coopération dans la durée. Sur le volet transport aérien, Turkish Airlines envisage d’augmenter ses fréquences vers Pointe-Noire, tandis que des discussions techniques se poursuivent autour d’un accord de partage de codes avec Equatorial Congo Airlines.
Dans le secteur agriculture-santé, la Turquie a proposé une coopération tripartite intégrant l’expertise de son agence TİKA. L’idée est de soutenir l’extension des fermes-écoles congolaises tout en renforçant la chaîne de valeur pharmaceutique locale. De son côté, Brazzaville a mis en avant son futur parc technologique de Kintélé pour accueillir des investisseurs turcs dans le numérique et les énergies renouvelables.
Implications régionales et multilatérales
Au-delà des annonces, la séquence rappelle que les États intermédiaires développent un soft power pragmatique. Le Congo mise sur le rayonnement qu’offrirait la prise de commandes de l’UNESCO pour renforcer son rôle de médiateur environnemental dans le Bassin du Congo et pour crédibiliser son leadership sur la question de la paix culturelle. Dans le même temps, la Turquie consolide son maillage africain, déjà visible à travers ses 44 ambassades sur le continent, en s’adossant à des partenaires stables et ouverts au co-investissement.
L’équation n’est pas exempte de défis. Le succès du corridor ferroviaire dépendra d’un environnement sécuritaire solide dans la zone frontalière avec le Gabon, tandis que la candidature de M. Matoko devra composer avec les ambitions concurrentes de personnalités issues d’Asie et d’Amérique latine. Toutefois, l’optimisme mesuré affiché par Ankara laisse présager un espace de négociation fertile.
À l’issue de la rencontre, Anatole Collinet Makosso a esquissé une formule qui résume l’esprit du voyage : « Chaque fois que nous défendons l’universel, nous servons aussi l’intérêt national ». Une phrase qui dit la conviction de Brazzaville qu’il n’y a pas de contradiction entre la fidélité aux principes du multilatéralisme et la recherche de bénéfices tangibles pour le développement. Pour les observateurs, l’épreuve de vérité interviendra lors du prochain Conseil exécutif de l’UNESCO ; mais déjà, le Congo a gagné en visibilité et consolidé une alliance déterminante sur l’échiquier eurasiatique.