Économie informelle à Makabana : un dynamisme palpable
Dans les ruelles ensablées de Makabana, chef-lieu d’arrondissement posé au sud du Niari, la débrouille s’élève chaque matin comme une mélodie familière. Les jeunes, souvent mineurs, se partagent trottoirs, carrefours et faubourgs pour transformer l’espace urbain en vaste marché à ciel ouvert.
Ce mouvement informel, loin d’être marginal, irrigue désormais l’économie locale. Les autorités municipales estiment qu’il concerne deux citadins sur trois, soit plusieurs centaines de postes improvisés qui complètent les revenus familiaux et empêchent, selon le service social de la mairie, une explosion visible du chômage juvénile.
Multiplication de micro-métiers en plein cœur du Niari
À Migouéguélé, quartier populeux, l’œil curieux dénombre une nuée de cireurs, porteurs de colis, vendeurs d’eau fraîche ou de fruits de saison. Leur slogan commun, confie le jeune Théodore, 19 ans, est simple : « il faut bien manger aujourd’hui pour rêver demain ».
La dernière trouvaille locale s’appelle la vente de carburant sur bord de route. Ces revendeurs, surnommés « Khadafi », alignent des bouteilles d’essence ou de gasoil aux reflets ambrés. L’activité, apparue il y a trois ans, assure déjà un revenu quotidien avoisinant 6 000 FCFA.
Autour, d’autres métiers surgissent puis disparaissent au fil des saisons : cassage de cailloux pour la construction, ramassage de sable en pirogue, lavage express de pare-brise lors des embouteillages. Chacun répond à une niche précise, observée puis exploitée avec une célérité qui étonne les commerçants établis.
De la rue à l’entrepreneuriat, un parcours codifié
À Makabana, la débrouille suit souvent une courbe presque académique : balayeur, puis porteur, avant de se lancer dans la vente ambulante. « Le trottoir devient notre salle de classe », explique Léa, cireuse devenue cordonnière, qui économise pour ouvrir un kiosque formel l’an prochain.
Les sociologues du Centre d’études sur la jeunesse du Niari notent que cette progressivité rassure familles et bailleurs informels. La petite épargne quotidienne, souvent confiée à un adulte de confiance, finance à terme un stock personnel. C’est la première marche vers le statut envié de grossiste local.
Derrière le bricolage, l’ambition transparaît. Beaucoup d’adolescents citent les exemples de commerçants respectés ayant commencé par vendre des chewing-gums sur ces mêmes trottoirs. Pour eux, Makabana n’est pas un cul-de-sac, mais un tremplin possible vers le marché régional de Dolisie ou Pointe-Noire.
Enjeux sociaux, sécurité et santé des jeunes travailleurs
L’économie informelle demeure toutefois une zone grise. Sans protection sociale ni assurance, les jeunes vendeurs font face aux aléas météorologiques et aux contrôles inopinés. Le responsable local de la Police de proximité assure que « la priorité reste d’éviter les dangers liés au stockage artisanal de carburant ».
Les services sanitaires rappellent régulièrement les risques de contrefaçons de médicaments vendus à la sauvette. Une campagne d’information, soutenue par le ministère de la Santé, circule dans les radios communautaires pour sensibiliser vendeurs et clients. L’enjeu est de sécuriser la filière sans freiner son rôle nourricier.
Pour beaucoup de parents, la présence de leurs enfants sur ces points de vente représente aussi un filet social. La visibilité permanente au centre-ville rassure les foyers, même si elle renvoie la charge éducative à l’espace public.
Accompagnement public et perspectives de formalisation
Interrogé lors d’un récent conseil départemental, le délégué du ministère de la Jeunesse rappelle la mise en place du Programme d’appui à l’auto-emploi, qui délivre de petites subventions et des formations comptables. À Makabana, 47 micro-projets auraient déjà bénéficié d’un premier accompagnement administratif.
L’Agence congolaise pour l’emploi prévoit aussi d’ouvrir, avant la fin de l’année, un guichet mobile d’état-civil pour aider les jeunes sans papiers à obtenir une identité légale, sésame indispensable pour accéder aux programmes de micro-crédit présentés par les banques partenaires.
Pour l’économiste Brazzavillois Patrice Mabiala, l’enjeu est d’offrir « une passerelle douce entre l’informel et le registre du commerce ». Selon lui, régulariser ne signifie pas brider l’ingéniosité, mais créer un climat où le petit entrepreneur peut croître sans craindre une saisie brutale.
Sur le terrain, des associations locales expérimentent déjà une caisse mutuelle alimentée par les bénéfices journaliers des vendeurs. Le fonds, surnommé « Nzonzi », finance des frais médicaux et de petites indemnisations en cas d’accident. L’initiative, saluée par la mairie, pourrait servir de modèle communal.
L’irruption récente du paiement mobile change déjà les habitudes : beaucoup de vendeurs acceptent les transferts par téléphone, réduisant les pertes liées au manque de monnaie et renforçant leur sécurité.
Un avenir forgé par la créativité des rues
À Makabana, la rue n’est pas seulement un espace de transit ; elle s’avère le foyer d’une créativité populaire qui refuse l’inertie. Chaque bouteille d’essence, chaque paire de chaussures raccommodée raconte la même histoire : celle d’une jeunesse déterminée à écrire sa place dans la croissance nationale.
Si les défis restent réels, l’essor de ces micro-métiers illustre aussi un potentiel que les pouvoirs publics s’emploient à canaliser. Entre débrouille et ambition, Makabana offre ainsi une leçon d’adaptabilité : transformer la précarité apparente en laboratoire ouvert d’innovation sociale et économique.