Congo, tête de pont du plan Mattei
À Brazzaville, la visite de l’ambassadeur Enrico Nunziata a discrètement installé un parfum d’opportunité : le Congo devient laboratoire du plan Mattei, stratégie italienne qui promet d’ouvrir le robinet financier à un demi-million de start-up africaines.
La Présidence congolaise, qui cherche depuis plusieurs années à arrimer l’économie au numérique, voit dans ce rôle de pionnier un signal d’attractivité : si Rome mise sur Brazzaville, c’est que le terrain local commence à rassurer les investisseurs, confie un conseiller gouvernemental.
De l’ambition diplomatique à l’économie réelle
Sur le papier, le programme est carré : mentorat, capital d’amorçage, partenariats industriels et formations co-conçues avec des polytechniques italiennes. Objectif assumé : transformer de jeunes codeurs congolais en entrepreneurs capables de résoudre des défis locaux, de la télémédecine à l’agriculture de précision.
Le ministre des Postes et de l’Économie numérique, Léon Juste Ibombo, rappelle que les technologies « n’ont de sens qu’inscrites dans un agenda social ». Selon lui, chaque start-up soutenue devra créer des emplois stables et documenter son impact, condition pour accéder aux tranches de financement suivantes.
L’Italie, pour sa part, y voit une déclinaison concrète du partenariat gagnant-gagnant évoqué par la Première ministre Giorgia Meloni devant l’Union africaine en février, sorte de réponse au besoin d’alliances plus équilibrées exprimé par de nombreuses capitales du continent.
Débloquer l’écosystème local
Au Congo, l’écosystème reste modeste : moins de cent cinquante jeunes pousses recensées, souvent concentrées à Brazzaville. Les porteurs de projets citent la rareté du capital-risque et le coût de la connexion internet comme principaux freins à leur croissance.
Ici, un méga-programme étranger change la donne psychologique. « Nous savons désormais que nos idées peuvent intéresser au-delà du fleuve », sourit Grâce Malanda, cofondatrice d’une appli de livraison verte, déjà prête à candidater dès l’ouverture de l’appel à projets.
Le gouvernement espère aussi irriguer les régions. Un volet du partenariat prévoit des centres d’innovation mobiles, bus connectés sillonnant les villes secondaires pour offrir prototypage et conseils juridiques. Une manière de désengorger la capitale et d’éviter l’impression d’un projet réservé aux élites urbaines.
Université et compétences, nerf de la guerre
L’université Marien-Ngouabi, partenaire académique pressenti, doit actualiser ses cursus avec des modules sur l’intelligence artificielle appliquée à la santé ou la cartographie satellitaire des sols. Des délégations d’enseignants iront dès octobre observer les laboratoires de Turin et de Milan.
Reste la question des compétences. Dix-sept mille étudiants sortent chaque année des facultés congolaises ; seuls 8 % ont une formation numérique avancée. Les bourses prévues à Turin ou Bologne pourront combler partiellement ce gap, à condition de favoriser ensuite leur retour.
Gouvernance et finances sous surveillance
Les bailleurs italiens ont insisté sur la transparence. Un tableau de bord public, actualisé trimestriellement, listera les fonds versés et les résultats obtenus. « La confiance passe par les chiffres », glisse un diplomate. Une clause anticorruption figure en toutes lettres dans le mémorandum.
Sur le continent, certains observateurs s’interrogent : comment toucher 500 000 jeunes entreprises en cinq ans ? Les promoteurs répondent par l’effet multiplicateur d’une plateforme régionale qui fédérera incubateurs, banques et fonds africains pour faire levier sur les outils italiens.
Le secteur bancaire local se prépare. La BCI et la banque postale étudient des lignes de crédit dédiées aux lauréats. « Le risque reste mesuré si l’État et l’Italie partagent la garantie », observe un cadre. Ces mécanismes doivent éviter la dilution des capitaux étrangers.
Un pari régional à effet levier
Le contexte congolais demeure singulier. Après la pandémie, la croissance est repartie, portée par les télécoms et les services financiers digitaux. Pourtant, le pays cherche encore la voie vers l’industrialisation. Un tissu de start-up solides pourrait devenir cette passerelle, estiment des analystes de Douala.
À Rome, l’énergie est aussi diplomatique. L’Italie, engagée dans le G7, veut afficher une présence africaine non réduite aux hydrocarbures. Soutenir l’entrepreneuriat du Congo, producteur pétrolier, lui offre une image de partenaire tourné vers la diversification et la jeunesse.
Le rôle pilote confère néanmoins des responsabilités. Si les premières cohortes congolaises patinent, le projet global perdrait sa force de persuasion. C’est pourquoi un comité binationale, associant ministères, startups et société civile, évaluera dès six mois la qualité de l’accompagnement fourni.
Dans les couloirs du ministère, on parle déjà d’un « Silicon Malebo », clin d’œil au fleuve qui relie Brazzaville et Kinshasa. L’expression amuse mais traduit une volonté de bâtir un pôle transfrontalier. L’appui italien pourrait en fournir la première brique.
« Rester ici », le défi générationnel
À court terme, le signal est avant tout de confiance. Le Congo affiche son ambition de s’intégrer dans une économie africaine numérique en pleine réorganisation. Si le pari réussit, il deviendra vitrine ; s’il échoue, il aura du moins tenté de catalyser ses talents.
Pour nombre d’étudiants croisés sur le campus Talangaï, l’annonce sonne comme une invitation à « rêver en grand tout en restant ici ». C’est peut-être là la clé : faire de l’expatriation une option, non une fatalité.