Alliance numérique Congo-France
Les canulars viraux et autres deepfakes ne connaissent plus de frontières. Face à cette marée d’images trafiquées, Brazzaville et Paris ont choisi la coordination plutôt que la crispation. Depuis deux ans, leur dialogue parlementaire intègre explicitement la protection de l’espace informationnel partagé.
L’annonce du 21 août dernier, scellant une feuille de route franco-congolaise contre la désinformation, marque une étape. Désormais, la lutte numérique rejoint l’économie et la culture au rang des priorités bilatérales. Pour de nombreux observateurs, cet élargissement reflète un réalisme géopolitique assumé.
Feuille de route parlementaire renforcée
L’entretien à Brazzaville entre Aristide Ngama Ngakosso et l’ambassadrice Claire Bodonyi a traduit l’esprit d’urgence. Le sénateur congolais a parlé d’un « bouclier démocratique » tandis que la diplomate française a salué « la maturité institutionnelle du Congo ». Le ton était résolument constructif.
Cette rencontre descend d’un mémorandum signé en 2024 par les présidents des deux chambres. À l’origine, le texte visait le dialogue législatif classique ; il inclut désormais un protocole d’échanges d’alertes, de vérifications croisées et de formations destinées aux commissions des affaires étrangères.
Le Parlement congolais veut se prémunir des turbulences préélectorales. Selon une source au Sénat, l’objectif est de disposer d’une cartographie fine des récits hostiles avant l’ouverture de la campagne présidentielle. Le calendrier prévoit un premier rapport public fin janvier 2026.
Ciblage genré et narratifs hostiles
Les campagnes de désinformation récentes ont souvent exhibé un visage sexiste. En France, de fausses affirmations sur l’identité de Brigitte Macron ont reçu des millions de partages avant d’être jugulées par la justice. Au Congo, la diplomate Françoise Joly a été la cible de rumeurs salaces.
Pour les chercheurs de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, la politisation du genre sert à fragiliser les figures perçues comme symboles de stabilité. Les attaques se concentrent sur la réputation intime, car cette strate émotionnelle amplifie les partages et polarise l’opinion.
Ces offensives numériques ne sont rarement spontanées. Les services français attribuent plusieurs réseaux à des structures proches de Moscou ou de Bakou. À Brazzaville, le Conseil supérieur de la liberté de communication note l’apparition de comptes récemment créés qui recyclent des narratifs étrangers sur la gouvernance africaine.
VIGINUM et CSLC en synergie
VIGINUM, bras armé de l’État français contre les ingérences numériques, affine ses algorithmes de détection. Son directeur, Gabriel Ferrand, assure que « l’échange de métadonnées avec Brazzaville est fluide ». Chaque semaine, un canal sécurisé permet de partager des indicateurs techniques sur les réseaux suspectés.
Au Congo, le CSLC s’appuie sur un centre de veille composé d’ingénieurs formés à l’École africaine des métiers de l’informatique de Libreville. Leur mission : repérer les pics d’activité soupçonnés de provenir de bots. Depuis juin, vingt-sept alertes ont conduit à des retraits volontaires de contenus.
Le rapprochement technique n’oublie pas la dimension juridique. Les magistrats des deux pays devraient tenir, en février 2026, un séminaire sur la preuve numérique. Objectif déclaré : accélérer la chaîne de responsabilité sans nuire à la liberté d’expression garantie par la Constitution congolaise.
Présidentielle 2026 sous haute surveillance
La marche vers le scrutin de mars 2026 est jalonnée de rendez-vous sensibles : révision des listes électorales, arbitrages budgétaires, dépôt des candidatures. Chacune de ces étapes représente une fenêtre pour les opérateurs malveillants cherchant à semer la confusion ou à délégitimer les résultats.
Pour prévenir une crise de confiance, les deux capitales développent un protocole de « stop-rumeur » en temps réel. Les députés congolais recevront des fiches reflexes : éléments vérifiés, contacts presse, rappel du droit. En France, un bureau de crise pourra être activé en appui.
L’université Marien-Ngouabi prévoit également un module obligatoire sur la vérification open-source pour les étudiants en journalisme. « Il faut armer la jeunesse », insiste le recteur Albert Ondaye. Cette montée en compétence académique complète le dispositif institutionnel et renforce le maillage citoyen.
Stratégie former-vérifier-répliquer
Les spécialistes évoquent une stratégie à trois volets : former, vérifier, répliquer. Former les élus et les médias afin qu’ils reconnaissent les schémas de manipulation. Vérifier rapidement grâce à des bases de données partagées. Répliquer en publiant des contre-narratifs fondés sur des faits vérifiables.
Selon le politologue Christophe Mouyabi, cette approche pourrait réduire de 60 % la portée des infox avant qu’elles n’atteignent les principaux agrégateurs. Il rappelle toutefois que « la transparence institutionnelle demeure la meilleure antidote ». La confiance, conclut-il, se construit au-delà des algorithmes.
Vers un modèle régional
À l’heure où les ingérences numériques deviennent un outil diplomatique, l’expérience Congo–France offre une matrice. Ni parole moralisatrice ni posture défensive ; le duo privilégie la coopération technique et la pédagogie publique. Si la présidentielle de 2026 se déroule sans heurts informationnels, le modèle pourrait inspirer la sous-région.
Brazzaville mise par ailleurs sur son influence en Afrique centrale pour fédérer une task-force régionale dès 2027. Des discussions préliminaires auraient commencé avec Libreville et Luanda. Le ministère congolais des Affaires étrangères y voit l’occasion de promouvoir une « souveraineté numérique concertée ».