Ratification parlementaire et message politique
En adoptant, à l’unanimité moins deux abstentions, le projet de loi autorisant la ratification de la convention fiscale conclue avec la République de Turquie, la Chambre haute du Parlement congolais a livré plus qu’un simple vote technique. Dans l’hémicycle, les sénateurs ont clairement signifié que la diplomatie économique demeure l’un des leviers majeurs du second mandat présidentiel entamé en 2021. « Nous envoyons un signal de prévisibilité aux investisseurs », a résumé le président de la commission des finances, estimant que la stabilité juridique constitue la meilleure des incitations en période de turbulences géopolitiques. L’acte législatif parachève ainsi une négociation ouverte en 2018 et s’inscrit dans le calendrier d’harmonisation fiscale que Brazzaville mène depuis son adhésion au Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales.
Un outil de compétitivité pour l’économie congolaise
Devant les parlementaires, le ministre de l’Économie, du Plan et de l’Intégration régionale, Ludovic Ngatsé, a rappelé que le Congo ambitionne de porter le taux d’investissement direct étranger à 25 % du PIB d’ici 2026. La convention avec Ankara, en supprimant la double imposition sur les revenus des entreprises et des particuliers, réduit mécaniquement le coût d’implantation des sociétés turques dans des secteurs jugés prioritaires – construction, agro-industrie, énergie renouvelable. Elle crée également une voie à double sens : plusieurs groupes congolais, notamment dans le bois et la logistique, lorgnent le marché anatolien, fort de ses 85 millions de consommateurs et de sa plateforme d’exportation vers l’Asie centrale. Les services fiscaux congolais y voient enfin un instrument pour élargir l’assiette, l’échange automatique d’informations devant limiter l’évasion et améliorer le recouvrement.
Mécanismes techniques et garanties de transparence
Le texte de 29 articles couvre les bénéfices industriels et commerciaux, les dividendes, les intérêts, les redevances, ainsi que les plus-values immobilières. Il fixe un taux résiduel d’imposition à la source de 5 % pour les dividendes quand la participation de la société mère excède 25 %, et de 10 % dans les autres cas. Les intérêts suivent une logique analogue. Surtout, l’accord consacre le principe d’assistance administrative mutuelle, permettant aux deux administrations fiscales de s’échanger des données bancaires et comptables « prévisibles, pertinentes et proportionnées ». Cette disposition répond aux exigences du G20 en matière de lutte contre les flux illicites et rassure les bailleurs de fonds internationaux impliqués dans le financement du Plan national de développement 2022-2026.
La Turquie, nouveau pivot congolais vers l’Eurasie
Sur la scène diplomatique, l’accord confirme la montée en puissance d’Ankara en Afrique centrale. Depuis cinq ans, les investissements turcs se sont multipliés dans les infrastructures routières et portuaires, à l’instar du chantier d’extension du port en eau profonde de Pointe-Noire confié en partie au groupe Albayrak. Selon le ministère des Affaires étrangères congolais, le volume des échanges bilatéraux est passé de 36 millions de dollars en 2017 à près de 250 millions en 2022. L’Ambassadeur de Turquie à Brazzaville, Nilüfer Erdem Kaygısız, insiste sur une « relation de partenariat d’égal à égal où la valeur ajoutée locale est privilégiée ». Du côté congolais, l’option turque offre une diversification bienvenue des partenaires, à un moment où la concurrence sino-européenne se durcit sur le continent.
Alignement avec la stratégie de financement 2022-2026
Le ministre de la Coopération internationale, Denis Christel Sassou Nguesso, a situé la convention dans l’architecture de financement du Plan national de développement, chiffré à 6 500 milliards de francs CFA, dont la moitié doit provenir du secteur privé. À ses yeux, chaque accord de non-double imposition constitue un maillon d’une chaîne de crédibilité indispensable pour lever des capitaux sur les places financières. Les premières retombées se font déjà sentir, assure-t-il, citant la signature récente d’un protocole d’entente avec la société turque Karmod pour un programme de logements sociaux. Les partenaires techniques, notamment la Banque africaine de développement, considèrent que le respect des standards fiscaux internationaux améliore la notation souveraine, facilitant ainsi l’accès aux marchés.
Débats sénatoriaux et garde-fous institutionnels
Si l’adhésion de la Chambre haute a été large, plusieurs élus ont souhaité des garde-fous. Le sénateur de la Sangha a plaidé pour des clauses de révision quinquennale afin de mesurer l’efficacité du dispositif. Le gouvernement a pris note, rappelant que l’article 26 de la convention permet une dénonciation avec préavis de six mois. D’autres voix, comme celle de la sénatrice de Pointe-Noire, ont insisté sur la nécessité d’une politique industrielle nationale, sans laquelle les avantages fiscaux profiteraient majoritairement aux entreprises étrangères. Le ministre Ngatsé a répondu en annonçant un audit conjoint avec le secteur privé pour évaluer l’impact sectoriel des conventions déjà en vigueur avec la France, la Chine ou le Rwanda.
Perspectives régionales et convergence africaine
La ratification intervient alors que l’Union africaine pousse à la mise en place d’un marché unique continental, où la question de la fiscalité transfrontalière est cruciale. Brazzaville, en multipliant les conventions, cherche à se positionner comme plateforme de services et de transit au cœur de la Communauté économique des États d’Afrique centrale. Selon un rapport de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, la suppression de la double imposition peut accroître de 15 % les échanges intrarégionaux à moyen terme. Le Congo, doté du futur corridor ferroviaire Mayumba-Brazzaville-Ouesso, espère capter une partie de ce dividende logistique.
Un pas supplémentaire vers la normalisation fiscale
Au-delà de la coopération bilatérale, la convention Congo-Turquie illustre la volonté congolaise de se conformer aux standards de l’OCDE. Le chef de la division fiscale du FMI, Marco Villani, observe que « la crédibilité financière d’un État se lit désormais dans sa capacité à limiter la double imposition tout en luttant contre la double non-imposition ». Avec sept conventions ratifiées en moins de dix ans, Brazzaville se rapproche du seuil critique jugé nécessaire pour prétendre à des accords de garantie de prêt plus favorables. Les partenaires turcs, réputés pragmatiques, voient dans cet élan de normalisation un gage de sécurité juridique, essentiel pour mobiliser les banques d’Ankara et les lignes de crédit du Türk Eximbank.