Des images suggestives en plein marché
À l’entrée nord du marché Total de Bacongo, une échoppe minuscule attire d’emblée le regard par ses couleurs vives, mais surtout par des emballages exhibant des corps féminins dénudés en poses explicites. Les clients pressés s’arrêtent, d’autres détournent les yeux, parfois accompagnés d’enfants surpris.
Posés à hauteur d’homme, des flacons affirment « courbes spectaculaires en dix jours » ou « puissance extrême », tandis que des images de coït illustrent leurs effets présumés. Le vendeur, sourire tranquille, vante sa marchandise à voix basse, conscient du caractère borderline de son marketing.
Dans l’agitation des minibus, des policiers municipaux passent régulièrement pour réguler le stationnement ou interdire la vente à même la chaussée. Aucun ne semble s’émouvoir de ces photographies pourtant contraires aux normes de diffusion publique, selon plusieurs observateurs du droit congolais.
Entre commerce et tabou culturel
Le marché populaire n’est pas seulement un lieu d’échanges économiques ; il incarne aussi un espace social où se reflètent valeurs et contradictions. Afficher la nudité en plein jour frappe de plein fouet les codes traditionnels de retenue hérités des anciens quartiers de Bacongo.
Pour Jean-Bernard Malonga, sociologue à l’Université Marien-Ngouabi, la scène illustre « la collision entre une globalisation sans filtre et un imaginaire local encore marqué par la pudeur ». Selon lui, l’image provocante devient argument commercial lorsque l’oralité ne suffit plus à convaincre le consommateur.
Les clients interrogés expriment des réactions contrastées. Une mère dit avoir changé d’itinéraire pour éviter à son fils les affiches « embarrassantes ». Un jeune homme, lui, reconnaît y trouver des informations qu’il ne trouve pas ailleurs sur la sexualité, même s’il juge la méthode agressive.
La législation congolaise sur la pudeur
Le Code pénal congolais sanctionne la diffusion publique de contenu pornographique, notamment les articles 141 et 167 qui évoquent l’atteinte aux bonnes mœurs. Les peines vont jusqu’à un an d’emprisonnement et une amende, rappelle Me Paula Koussou, avocate au barreau de Brazzaville.
« L’exposition d’images érotiques à la vue des mineurs constitue une contravention claire », précise-t-elle. La juriste estime pourtant que l’application de la loi reste sporadique faute de plaintes formelles. La police intervient souvent sur la vente illicite d’alcool, moins sur les supports visuels litigieux.
Au ministère de la Communication, un cadre confirme sous anonymat que des directives existent pour filtrer les affiches publicitaires. Mais la multiplicité des points de vente informels complique toute inspection systématique. « Les municipalités doivent relayer », glisse-t-il, évoquant une future campagne de sensibilisation.
Responsabilité partagée des vendeurs et des usagers
Interrogé sur la présence d’images osées, le commerçant défend son approche. « Je vends ce que les gens demandent », assure-t-il, soulignant que la majorité de sa clientèle est majeure. Il dit n’avoir jamais reçu de remarque officielle et se dit prêt à retirer les clichés si requis.
De nombreux acheteurs, eux, interrogent le rapport qualité-prix plus que l’emballage. Les compléments pour le renforcement des fesses, vendus entre 2 000 et 5 000 FCFA, concurrencent les salons esthétiques coûteux. Le bouche-à-oreille, dopé par les photos, alimente une demande tournée vers l’amélioration corporelle rapide.
Cette dynamique commerciale illustre la difficulté de concilier libertés économiques et protection de la jeunesse. Pour Guylain Pambou, président d’une association de parents d’élèves, l’enjeu n’est pas de moraliser le marché mais d’installer des garde-fous clairs afin que chacun sache la frontière à ne pas franchir.
Le rôle attendu des autorités locales
La mairie de Bacongo affirme travailler à une nouvelle charte des marchés intégrant l’affichage acceptable. Le directeur de cabinet du maire, joint par téléphone, évoque des patrouilles pédagogiques et l’apposition d’autocollants « interdit aux mineurs » sur certains stands, plutôt qu’une fermeture immédiate.
Il rappelle que la police municipale agit déjà contre les nuisances sonores ou l’occupation anarchique de la chaussée, et que l’ajout d’un volet décence publique nécessite des moyens supplémentaires. « Nous avançons par priorités et en concertation avec les commerçants », insiste-t-il, appelant au civisme.
Éducation à la sexualité et santé publique
Au-delà des questions de morale, les produits vendus soulèvent un enjeu sanitaire. Le docteur Irène Mouanga, gynécologue, avertit que certains crèmes ou stimulants peuvent contenir des corticoïdes non déclarés ou des aphrodisiaques vasodilatateurs dangereux, surtout sans contrôle pharmaceutique ni notice claire.
Elle suggère d’associer la campagne contre l’affichage obscène à des messages sur la sécurité des produits, afin que les acheteurs ne substituent pas la loi du marché à la rigueur médicale. Un dépliant simple, remis lors des inspections, pourrait jouer un rôle de prévention.
Vers un marché plus respectueux
L’échoppe de Total-Bacongo rappelle qu’un simple présentoir peut cristalliser les débats sur la modernité et la morale. Les commerçants, les parents et les autorités disposent chacun d’un levier pour préserver la liberté d’entreprendre tout en protégeant les plus jeunes, sans nécessairement brandir la censure.
Un groupe de vendeurs du couloir central s’est déjà réuni pour rédiger une proposition d’autoréglementation. Ils envisagent d’adopter un code visuel inspiré des pharmacies, avec packaging discret et conseils personnalisés. Si l’initiative aboutit, Bacongo pourrait devenir un laboratoire inédit de commerce responsable.