Un sujet insulaire chargé d’histoire et de symboles
Les Îles Éparses – Europa, Bassas da India, Juan de Nova et les Glorieuses – disséminées dans l’océan Indien, sont moins connues pour leurs étendues de sable que pour la densité de significations qu’elles cristallisent. Pour Antananarivo, ces fragments de terre, administrés par Paris depuis 1960, incarnent la trace matérielle d’un manteau colonial jamais totalement déposé. Pour la diplomatie française, ils constituent une composante du deuxième domaine maritime mondial, sésame d’influence dans une zone où se croisent intérêts africains, asiatiques et moyen-orientaux.
Paris verrouille une délégation au profil technico-politique
Le Quai d’Orsay, soucieux de maintenir une cohésion de façade, garde la liste de ses négociateurs sous scellés. Seul filtre public : la présence annoncée d’un conseiller indo-pacifique de l’Élysée, d’un haut fonctionnaire du ministère de la Transition écologique – en raison des réserves naturelles classées – et d’un juriste du contentieux auprès du Conseil d’État, afin de parer toute contestation de la convention de Montego Bay. À l’Assemblée nationale, certains élus ultramarins dénoncent un « entre-soi expertal » susceptible de diluer la dimension mémorielle du dossier.
Antananarivo navigue entre revendication souverainiste et pragmatisme budgétaire
Le président Andry Rajoelina répète que « les îles appartiennent au patrimoine naturel et historique malgache », tout en ménageant des marges de négociation pour obtenir un soutien financier français au plan de relance post-cyclones. Le gouvernement malgache, tributaire des bailleurs internationaux, sait que le ton maximaliste doit céder le pas à un compromis s’il espère convertir une victoire symbolique en bénéfices économiques tangibles.
Le droit international, juge de paix ou instrument politique ?
Sur le plan juridique, la France invoque l’article 76 de la convention de Montego Bay pour arguer de la légitimité de ses zones économiques exclusives, tandis que Madagascar s’appuie sur la résolution 1514 de l’ONU relative à la décolonisation. « Nous sommes face à une collision de normes où le principe d’intégrité territoriale heurte la notion de terra nullius héritée des cartographies impériales », note une experte du Centre d’études diplomatiques de Genève. Si la commission mixte s’aventure vers un compromis, le scénario d’une cogestion scientifique assortie d’un partage des redevances halieutiques gagne du terrain.
L’Indo-Pacifique en arrière-plan : Paris redoute l’effet domino
L’affaire dépasse la diagonale Mozambique-Madagascar. Washington, New Delhi et Pékin suivent attentivement la réunion du 30 juin, conscients que toute concession française pourrait créer un précédent sur d’autres micro-territoires stratégiques, de Clipperton aux Kerguelen. En coulisses, des diplomates américains confient que « la crédibilité de la présence occidentale dans la zone se joue aussi sur ces récifs ». D’où la prudence extrême de l’exécutif français, soucieux de ne pas transformer un geste de bonne volonté en démantèlement progressif de son architecture maritime.
Une scène diplomatique observée par l’Union africaine et l’ONU
Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a salué la tenue de la commission mixte, tout en rappelant « la nécessité d’une solution conforme aux aspirations du continent ». À New York, le département des Nations unies chargé des questions politiques internes prépare déjà un briefing du Conseil de sécurité au cas où la négociation s’enliserait. Les ONG environnementales insistent pour leur part sur la protection des écosystèmes marins, convaincues qu’un changement de statut juridique n’est acceptable que s’il inclut un dispositif de conservation renforcé.
Paris, 30 juin : huis clos stratégique et équations internes
Le choix de la capitale française comme théâtre de la réunion n’est pas anodin. Il offre à Paris un avantage logistique et symbolique, tout en laissant à Madagascar la latitude de se présenter comme demandeur dans une démarche pacifique. Le format à huis clos, sans présence médiatique directe, vise à prévenir une surenchère publique. Reste que la société civile malgache, dopée par les réseaux sociaux, réclame une transparence qu’aucune note verbale ne saurait satisfaire entièrement.
Quels scénarios au-delà de la photo finale ?
Trois pistes dominent les échanges officieux. La première, minimaliste, entérine le statu quo assorti d’un fonds de développement côtier financé par Paris. La deuxième, plus ambitieuse, institue une copropriété franco-malgache et un gouvernorat mixte chargé de la gestion des pêches. La dernière, politiquement risquée pour l’Élysée, prévoit la restitution pleine et entière des îles, sans abandon du cadre de coopération scientifique. Chaque option devra se frayer un chemin entre les urnes françaises de 2027 et les échéances électorales malgaches de 2028, autant dire un horizon où les intérêts nationaux primeront sur les vertus de l’abstraction juridique.
Entre mémoire et prospective : un test de crédibilité pour les deux capitales
À l’approche du 30 juin, Paris joue la carte de la méthode, Antananarivo celle de la mémoire. La clef résidera peut-être moins dans la délimitation de quelques centaines d’hectares que dans la capacité des deux États à démontrer qu’ils peuvent résoudre un litige hérité du passé par le dialogue. Aux dires d’un diplomate ougandais, « ce dossier n’est pas un îlot isolé ; il est la métaphore d’un continent qui demande à être écouté, pas seulement consulté ». La commission mixte accouchera-t-elle d’un précédent constructif ou d’un rappel brutal des limites du multilatéralisme ? Les observateurs retiendront que, dans l’océan Indien, la souveraineté demeure une affaire de granites… et de symboles.