Un podium artistique au service du rayonnement culturel
Dans le bruissement nocturne des berges du fleuve Congo, la huitième édition des Tremplins Mbote hip-hop s’est achevée par la consécration de Kesert Gédéon Matondo, alias Zerké. L’événement, soutenu par le ministère en charge de la Culture et par l’Institut français du Congo, ne se limite plus à une simple vitrine d’art urbain ; il est devenu un levier de rayonnement diplomatique. En misant sur l’énergie d’une jeunesse majoritaire – près de 60 % de la population congolaise a moins de 25 ans –, Brazzaville projette une image de modernité et d’ouverture, susceptible de renforcer sa présence symbolique dans l’espace francophone africain.
Les Tremplins Mbote hip-hop : incubateur d’excellence
Créés en 2015, les Tremplins Mbote se sont progressivement structurés en dispositif d’accompagnement, inspiré des « talent factories » anglo-saxonnes. L’édition 2023 a enregistré plus de 200 candidatures venant des douze départements du pays. Après plusieurs sessions de coaching, trente finalistes ont été sélectionnés pour un programme intensif mêlant composition, management et scénographie. « Depuis trois ans, nous voulons former des artistes capables de franchir les frontières, techniquement et juridiquement », résume Barbara Oboa Tabaka, responsable communication de l’Ifc.
Zerké, Rodin De Samba et Universal : figures d’une génération connectée
La répartition des prix – musique urbaine pour Zerké, slam pour Rodin De Samba, danse pour le collectif Universal, management pour Estime Zakuanda – dessine la cartographie d’une scène en mutation. Zerké, dont la plume oscille entre rumba traditionnelle et trap, incarne un syncrétisme très prisé sur les plateformes de streaming. Rodin De Samba, lui, s’inscrit dans la veine panafricaine du slam engagé tandis qu’Universal s’appuie sur des chorégraphies codifiées pour TikTok. « Nos publics ne se situent plus seulement à Poto-Poto ou Talangaï, ils sont aussi à Abidjan, Paris ou Montréal », souligne Dyzer, porte-parole d’Universal.
Soft power et priorités gouvernementales
Le gouvernement congolais, conscient des dividendes immatériels de l’art urbain, a inscrit la filière musiques actuelles au Plan national de développement 2022-2026. La mesure phare porte sur la création d’un Fonds d’appui aux industries culturelles et créatives, doté de 5 milliards de francs CFA. Selon le conseiller culturel près la présidence, cette enveloppe vise à « soutenir la professionnalisation afin que le talent se transforme en valeur ajoutée économique et en capital d’influence ». Les Tremplins Mbote sont ainsi considérés comme un pipeline de projets exportables, dans la droite ligne des stratégies de soft power développées par d’autres États riverains du Golfe de Guinée.
Une architecture partenariale en voie de consolidation
Le concours bénéficie d’un montage financier hybride mêlant institutions publiques, opérateurs privés et coopération internationale. L’Ifc apporte l’ingénierie de formation, la Banque postale du Congo assure une dotation en microcrédit destinée à l’achat d’équipement, tandis que l’opérateur de télécommunications MTN fournit la couverture numérique et la captation live. Dans un contexte marqué par la baisse des budgets de l’aide extérieure, cette complémentarité devient essentielle. « La pluralité des partenaires garantit la résilience du dispositif et l’autonomisation progressive des lauréats », estime le sociologue culturel Jean-Pierre Kouélé, enseignant à l’Université Marien-Ngouabi.
Impact régional et diplomatie de la jeunesse
Au-delà des frontières nationales, les Tremplins Mbote s’érigent en plateforme régionale. En 2024, des sessions satellites sont programmées à Kinshasa, Pointe-Noire et Libreville, favorisant les échanges transfrontaliers. Cette dynamique rejoint les orientations de l’Union africaine, qui a fait de 2024 l’année de la « Capitale africaine de la culture ». Pour le chercheur camerounais Achille Matomba, « le hip-hop congolais devient un instrument de diplomatie publique, comparable à la K-pop en Corée du Sud, mais avec des codes continentaux propres ».
Enjeux économiques et durabilité
La chaîne de valeur musicale congolaise représente près de 1,2 % du PIB selon la Banque mondiale, un potentiel encore sous-exploité. Les organisateurs des Tremplins souhaitent consolider ce chiffre en fournissant aux artistes des outils de monétisation, de la synchronisation publicitaire à la billetterie digitale. Par ailleurs, les entraîneurs insistent sur la nécessité d’une gestion durable des carrières pour éviter l’érosion rapide de la notoriété. Dans cette optique, Zerké et ses pairs seront accompagnés pendant douze mois par un pool d’experts comprenant avocats, comptables et coachs scéniques.
Perspectives et crédibilité internationale
La trajectoire des lauréats de la précédente édition atteste de l’efficacité du dispositif : trois d’entre eux figurent désormais sur les scènes de festivals à Rabat et Johannesburg. Pour Zerké, l’ambition affichée est de rejoindre le réseau UNESCO des villes créatives, dont Brazzaville fait déjà partie au titre de la musique. « Nous voulons transformer l’essai en attirant des tourneurs européens et en renforçant notre visibilité sur la carte mondiale du hip-hop », confie l’artiste. Cette projection extérieure, loin de se limiter à un trophée, illustre la mue d’un pays qui capitalise sur ses talents pour consolider son image et accompagner ses objectifs de développement.