Une initiative pionnière à Pointe-Noire
Lorsqu’elle fait escale au port pétrolier de Pointe-Noire il y a dix ans, Marion Daron, sage-femme formée à Lille puis aguerrie à Londres et Manille, découvre un marché de la santé maternelle en pleine mutation. Les multinationales installées sur la côte, le corps diplomatique et une classe moyenne naissante composent un public attentif aux standards internationaux. C’est à leur intention qu’elle crée, il y a tout juste un an, la société Naissances nomades, structure d’accompagnement prénatal et postnatal spécialisée dans les accouchements programmés hors frontières.
La petite entreprise, enregistrée auprès du guichet unique de l’Agence de promotion des investissements, fonctionne selon un modèle hybride : consultations à domicile, télé-suivi sur plateformes sécurisées et préparation logistique des séjours obstétricaux à Johannesburg, Dubaï ou Paris. « Nous ne vendons pas un billet d’avion, nous orchestrons un continuum de soins », résume la fondatrice, pour qui l’enjeu principal reste la fluidité entre le système congolais et les plateaux techniques étrangers.
Entre savoir-faire occidental et réalités locales
Le succès de Naissances nomades tient d’abord au profil atypique de sa dirigeante. Mère de cinq enfants nés sur trois continents, Marion Daron revendique une expertise vécue. Cette légitimité lui permet de dialoguer avec les obstétriciens du Centre hospitalier et universitaire de Pointe-Noire comme avec leurs homologues sud-africains, en respectant les obligations de référence édictées par le ministère de la Santé et de la Population. « Chaque patiente reste inscrite dans le circuit national de surveillance. Nous partageons nos dossiers par voie sécurisée, de sorte qu’aucune donnée ne quitte le Congo sans traçabilité », insiste-t-elle.
Sur le terrain, l’équipe – trois sages-femmes congolaises et un anesthésiste consultant – assure le suivi des grossesses à risque et organise, le cas échéant, l’évacuation sanitaire. Les soins sont facturés en francs CFA, mais les prestations internationales sont indexées sur le rand ou l’euro, ce qui confère à la clientèle une visibilité budgétaire inédite dans la sous-région.
Les attentes d’une clientèle mobile et exigeante
Selon une enquête exploratoire menée auprès de cinquante usagers, près de 60 % des patientes de Naissances nomades sont des Congolaises diplômées désireuses d’accéder à des blocs obstétricaux de niveau III. Les expatriées, pour leur part, recherchent surtout une médiation culturelle et linguistique. « Nous traduisons un projet de naissance occidental dans un environnement africain sans créer de rupture avec les familles », explique Clarisse Mavoungou, sage-femme senior.
Ce positionnement lui ouvre aussi les portes du marché régional. Des futures mères venues du Gabon ou de la République démocratique du Congo transitent par Pointe-Noire pour bénéficier des conseils de l’équipe avant de s’envoler vers l’Asie du Sud-Est, devenue une destination compétitive depuis la reprise des vols Doha-Brazzaville.
Le cadre réglementaire congolais et régional
Le Congo-Brazzaville encadre les évacuations sanitaires à travers un décret de 2019 qui subordonne tout transfert à l’avis d’un collège médical. Naissances nomades s’y conforme, souscrivant également aux exigences de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale en matière de protection des données de santé. Le gouvernement, engagé dans la mise en œuvre du Plan national de développement sanitaire 2023-2027, voit d’un bon œil les initiatives privées capables de désengorger les maternités publiques tout en créant des emplois qualifiés.
Le Pr Jean-Dominique Oba, directeur de l’École régionale de santé publique, observe que « les acteurs hybrides comme Naissances nomades introduisent une dynamique vertueuse de benchmarking. Ils poussent les hôpitaux à renforcer la qualité pour retenir leurs patientes ». Une vision partagée par la représentation locale de l’Organisation mondiale de la santé, qui encourage les partenariats public-privé dès lors qu’ils respectent les normes éthiques.
Des perspectives en phase avec la stratégie nationale de santé
Consciente des besoins croissants, l’entreprise prévoit d’ouvrir un centre de simulation obstétricale à Pointe-Noire afin de former les sages-femmes congolaises aux protocoles internationaux d’urgence. Le projet, soutenu par un fonds d’impact français, s’harmonise avec l’objectif gouvernemental de réduire la mortalité maternelle à 140 décès pour 100 000 naissances d’ici 2028.
Dans le même temps, Naissances nomades envisage un service de réalité virtuelle permettant aux familles restées à Brazzaville d’assister à la naissance à distance, une innovation qui pourrait placer le Congo parmi les pionniers de la télémédecine affective sur le continent. « L’idée est d’utiliser la technologie pour rapprocher, non pour exiler », précise Marion Daron.
Au-delà de la performance commerciale, le parcours de Naissances nomades esquisse la voie d’une santé maternelle sans frontières, où l’ancrage local sert de tremplin à l’excellence globale, en accord avec les grandes orientations sanitaires du pays.