Une mobilisation face aux nouveaux défis sociaux
Sous le ciel gris de juin, le centre Polio de Pointe-Noire a retrouvé l’effervescence des grands jours. Plus de cent personnes âgées ou fragilisées s’y sont pressées pour recevoir un kit alimentaire attendu.
À l’origine de ce moment solidaire, la Caritas diocésaine, conduite par Mgr Abel Liluala, commande une campagne trimestrielle d’urgence visant à amortir les effets des turbulences socio-économiques subies par de nombreux ménages urbains.
Cette première distribution marque un tournant car elle s’inscrit dans un plan pluriannuel aligné sur l’Agenda 2030 de lutte contre la faim et calqué sur les réalités congolaises, expliquent les animateurs sociaux rencontrés.
Une chaîne de solidarité structurée
Les stocks proviennent d’un entrepôt discret situé dans le quartier Mpaka où riz importé, huile végétale, poisson salé et savon sont reconditionnés par une dizaine de bénévoles équipés de balances artisanales mais déterminés.
Chaque colis pèse environ douze kilogrammes, de quoi couvrir trois à quatre semaines de besoins pour un ménage moyen, calcule l’abbé Steve Mayala, directeur de Caritas Pointe-Noire et maître d’œuvre de l’opération.
La fréquence trimestrielle n’est pas choisie au hasard ; elle correspond au rythme des pensions informelles que touchent parfois les aînés et à la saisonnalité des prix sur le marché Domingos, très sensible aux importations.
Un partenariat public-privé exemplaire
Pour réunir les fonds, la Caritas s’appuie sur la Société nationale des pétroles du Congo et sa fondation, actives depuis plusieurs années dans la promotion de la cohésion sociale autour des sites d’extraction.
Le directeur exécutif de la Fondation SNPC, Alain Bounda, assure que « l’entreprise doit partager les fruits du pétrole avec les communautés », un discours bien accueilli dans un contexte où l’emploi formel demeure rare.
Cette articulation entre secteur privé, Église et société civile répond à l’esprit du Plan national de développement 2022-2026 qui encourage les initiatives multi-acteurs pour consolider la résilience alimentaire des populations urbaines.
Des bénéficiaires au cœur du dispositif
La sélection des bénéficiaires s’effectue en deux temps. Chaque paroisse dresse un registre des personnes âgées isolées, puis une commission vérifie les revenus, la possession d’un jardin ou un appui familial.
Mère de six enfants partis à Kinshasa, Eveline Makosso confie avoir longtemps redouté la hausse des loyers et des denrées. « Cet appui me permettra d’économiser pour les médicaments », souffle-t-elle, le regard posé sur son sac.
Comme elle, Martin Moutari, ancien docker, admet que la pension informelle versée par ses neveux suffit à peine à régler l’électricité. Le sac de riz devient alors un filet de sécurité, voire une marque d’attention psychologique.
Les volontaires notent d’ailleurs qu’un quart des personnes âgées accompagnées vivent seules, une situation qui accroît les risques d’anxiété et de malnutrition chronique selon les données du ministère de la Santé.
Le rôle stratégique de l’Église locale
Au-delà des chiffres, la mobilisation rappelle le rôle historique de l’Église dans l’aide sociale depuis l’époque coloniale, rôle reconnu par l’État congolais qui lui confie régulièrement des centres de santé ou des écoles.
L’archevêque Abel Liluala insiste cependant sur la modernisation des pratiques. Un tableau de bord numérique agrège désormais les indicateurs de stocks, d’origine des dons et d’évaluation d’impact, facilitant le dialogue avec les bailleurs internationaux.
Des représentants du Programme alimentaire mondial présents lors du lancement saluent la démarche de transparence et y voient un atout pour mobiliser de futurs financements dans la lutte contre l’insécurité alimentaire urbaine.
Perspectives pour la sécurité alimentaire
La ville océane connaît une croissance démographique de 2,7 % par an, nourrie par l’exode rural. Cette pression sur le marché vivrier explique l’engouement pour des initiatives capables de stabiliser l’accès aux denrées.
En articulant aide immédiate et appui à la production maraîchère paroissiale, Caritas projette d’élargir son action vers les banlieues de Tié-Tié et Mongo-Kamba, où les taux de pauvreté dépassent la moyenne nationale.
L’organisation veut aussi développer des ateliers de transformation de manioc afin de créer de la valeur ajoutée localement et de sécuriser des revenus pour les familles impliquées dans la chaîne alimentaire.
Un protocole d’accord est en discussion avec l’Institut national de recherche agronomique pour former les jardiniers paroissiaux sur les semences résilientes aux variations climatiques, confirmant le lien entre sécurité alimentaire et changement climatique.
Un modèle reproductible au niveau national
Les autorités locales observent avec intérêt cette approche intégrée. Le préfet du département, Alexandre Honoré Paka, y voit « un complément utile aux filets sociaux publics en phase d’extension vers les zones périurbaines ».
Pour l’économiste Ghislaine Obili, la régularité des distributions renforce la confiance des ménages et stimule l’économie locale, car les fournisseurs sont principalement des grossistes de Ngoyo, encourageant un circuit court rémunérateur.
À moyen terme, Caritas étudie la possibilité de dupliquer le modèle à Dolisie et Ouesso, tout en gardant Pointe-Noire comme centre logistique; un schéma qui pourrait inspirer d’autres diocèses ou ONG.
D’ici là, le rendez-vous de septembre tient lieu de boussole aux bénéficiaires. Beaucoup espèrent que l’élan actuel ouvrira la voie à une sécurité alimentaire durable, ciment indispensable à la paix sociale dans la capitale économique.