Une diplomatie du genre qui s’affirme à Brazzaville
En accueillant, du 29 au 31 juillet, la cinquième édition du Mbongui de la femme africaine, la capitale congolaise a confirmé sa vocation de forum discret des grandes causes africaines. Organisée à la veille de la Journée internationale de la femme africaine, la rencontre s’est inscrite dans un calendrier diplomatique déjà marqué par les consultations régionales autour de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. En ouvrant les travaux, la promotrice Splendide Lendongo Gavet a souligné que « lorsque les femmes africaines se rassemblent, les idées jaillissent, les solutions émergent et les barrières tombent », rappelant l’ambition de faire du Mbongui un laboratoire d’influence douce au service de la gouvernance continentale.
La notion même de « Mbongui », espace traditionnel de palabre au Congo, confère à l’événement une résonance culturelle qui dépasse les frontières nationales. À la différence d’un colloque classique, le Mbongui revendique une méthodologie d’intelligence collective, mobilisant décideurs publics, secteur privé et société civile autour d’un objectif commun : intégrer l’inclusion du genre dans la prise de décision de haut niveau. Cette approche collaborative s’inscrit dans les orientations récentes de l’ONU Femmes, pour qui la diplomatie de genre n’est plus une option mais une condition de sécurité et de développement durables (ONU Femmes, 2022).
Le gouvernement congolais, représenté par la ministre de la Promotion de la femme, a saisi l’occasion pour réaffirmer son soutien à des politiques publiques « réceptives au genre ». Cette déclaration, remarquée par les délégations étrangères, vient renforcer l’image d’un Congo‐Brazzaville engagé dans la modernisation de son cadre législatif, en cohérence avec les engagements pris lors du Forum Génération Égalité de Paris en 2021.
Le hackathon féminin, laboratoire d’innovations africaines
Point d’orgue des trois jours, le hackathon réservé aux jeunes codeuses a transformé l’arène diplomatique en atelier d’innovation. Pendant vingt‐quatre heures, une trentaine de participantes venues de six pays d’Afrique centrale ont élaboré des prototypes destinés à répondre aux défis spécifiques des communautés locales : application de suivi de grossesse en zone rurale, plateforme de micro‐crédit pour artisanes ou encore solution d’accessibilité pour étudiantes vivantes avec handicap.
À l’issue des présentations, le jury présidé par la Fédération des agences francophones de l’intelligence artificielle a salué « la rigueur algorithmique et la pertinence sociétale » des projets. Au‐delà des récompenses symboliques, les lauréates bénéficieront d’un accompagnement technique du Centre africain de recherche sur l’innovation numérique, basé à Oyo, signe que l’écosystème congolais se structure autour des ambitions nationales de transformation numérique (Plan national de développement 2022-2026).
Le format hackathon, souvent associé aux hubs de Nairobi ou de Lagos, trouve ainsi une déclinaison singulière à Brazzaville. Il conforte l’idée, exprimée par plusieurs ambassadeurs présents, qu’un capital d’ingéniosité demeure sous‐exploité lorsqu’il s’agit des femmes africaines dans les filières STEM. Pour la représentante de la Banque africaine de développement, « chaque ligne de code écrite par une jeune Congolaise est une ligne de prospérité inscrite dans l’avenir du continent ».
Inclusion, handicap et prise de décision : enjeux stratégiques
Au-delà du numérique, les tables rondes ont ouvert un chantier délicat : l’intégration systématique des personnes vivant avec handicap dans les processus décisionnels. Cette thématique, longtemps périphérique dans les forums africains, a été abordée sous l’angle des obligations internationales, notamment la Convention relative aux droits des personnes handicapées ratifiée par la République du Congo en 2014.
Les participants ont rappelé que l’intersection genre‐handicap demeure l’un des angles morts des politiques publiques. Selon la Commission économique pour l’Afrique, moins de 1 % des programmes de développement à l’échelle continentale disposent d’indicateurs spécifiques sur cette dualité. L’appel final du Mbongui invite donc les États à introduire, dans leurs plans budgétaires, des lignes dédiées à l’accessibilité universelle et à la représentation paritaire au sein des comités de pilotage. Dans un contexte où la transparence budgétaire devient un critère majeur de coopération, cette recommandation répond également aux attentes des bailleurs internationaux.
La diplomatie congolaise, elle, mise sur l’exemplarité pour accroître son attractivité. La récente nomination de femmes à des postes stratégiques dans les secteurs du pétrole, des finances et de la politique urbanistique en est une manifestation. Comme l’a noté un conseiller de l’Union africaine, « l’expérience congolaise illustre comment la symbolique des nominations peut préparer le terrain à des réformes structurelles plus profondes ».
Économie créative et savoirs endogènes : vers une stratégie concertée
Un autre pan des discussions a porté sur la valorisation des savoirs endogènes. Herboristes, designers et chercheuses en biomimétique ont démontré que la connaissance traditionnelle pouvait dialoguer avec la recherche académique pour générer des chaînes de valeur locales. Cette articulation entre patrimoine immatériel et innovation a retenu l’attention d’investisseurs privés en quête de projets responsables, compatibles avec les critères ESG.
L’entrepreneuriat durable a ainsi été redéfini comme un vecteur de soft power. Pour les diplomates présents, soutenir l’artisanat féminin, la mode éthique et la cosmétique à base de plantes autochtones revient à réaffirmer la place de l’Afrique centrale dans la diplomatie culturelle mondiale. Un haut fonctionnaire de la CEEAC a résumé l’enjeu : « Le jour où nos tisserandes seront citées dans les forums du G20, l’Afrique aura changé de narration économique ».
De la parole aux actes : quelles perspectives régionales ?
Au terme des travaux, le communiqué final reprend les recommandations déjà formulées lors des précédentes éditions, mais y ajoute un mécanisme de suivi semestriel appuyé par la Commission de l’Union africaine. Cette décision répond à la critique récurrente sur la distance entre les engagements verbaux et leur mise en œuvre.
Le Mbongui propose également la création d’un réseau diplomatique informel des « Amis de l’inclusion », regroupant États, organisations internationales et entreprises engagées. L’objectif est de mutualiser les données et les bonnes pratiques, dans l’esprit du multilatéralisme pragmatique cher au président Denis Sassou Nguesso. Dans l’architecture institutionnelle africaine, une telle initiative pourrait devenir une plateforme de pré‐négociation avant les grandes conférences onusiennes sur le développement durable.
À Brazzaville, l’édition 2023 aura donc rappelé qu’au-delà de la rhétorique, l’inclusion du genre, soutenue par l’innovation et la prise en compte du handicap, constitue désormais un paramètre stratégique de la gouvernance. Les diplomates repartent avec la conviction qu’investir dans le leadership féminin n’est pas seulement une obligation morale : c’est un levier de stabilité, de croissance et de rayonnement pour l’Afrique au XXIᵉ siècle.