Brazzaville, scène d’un soft power assumé
À mesure que les projecteurs s’éteignaient dans un Palais des congrès comble, samedi 26 juillet, la formule rituelle du président Denis Sassou Nguesso – « Je déclare close la douzième édition du Festival panafricain de musique » – a résonné comme l’accord final d’une partition savamment orchestrée. Car si le FESPAM demeure d’abord une fête populaire, il est devenu, au fil des éditions, un instrument diplomatique que la République du Congo manie avec dextérité. La présence d’un corps diplomatique fourni et de représentants de multiples organisations internationales l’atteste : la musique congolaise, matrice des rumbas et des saccades guitare-basse, est aujourd’hui l’une des cartes de visite les plus convaincantes du pays sur la scène africaine.
Résilience budgétaire, excellence artistique
L’édition 2025 avait d’emblée été annoncée comme « compacte », contrainte par un contexte budgétaire mondial heurté. Le commissaire général Hugues Gervais Ondaye ne l’a jamais caché : « L’objectif était de maintenir la flamme. » Force est de constater que la contrainte a stimulé la créativité. Des formations comme Danseincolor, emmenée par le chorégraphe Gervais Tomadiatunga, ont offert une synthèse vibrante des répertoires congolais et maliens, tandis que la chanteuse Mariusca Moukengue rappelait, avec son titre « J’irai au Congo », l’attachement viscéral d’une génération entière à son terroir.
Numérique et croissance : la nouvelle portée
Inscrite sous le thème « Musique et enjeux économiques à l’heure du numérique », la semaine brazzavilloise aura surtout mis en relief une bascule stratégique. Le chercheur béninois Destiny Tcheouali, installé à l’Université du Québec à Montréal, l’a exprimé sans détour : « Le numérique n’est rien sans la culture. » Chiffres à l’appui, il rappelle que les industries culturelles et créatives pèsent 3 100 milliards de dollars, plus de 3 % du PIB mondial (UNESCO). Pourtant, en Afrique centrale, la monétisation reste embryonnaire. Les sessions de travail tenues en marge des concerts ont donc insisté sur la nécessité d’un encadrement juridique clair, d’infrastructures de streaming locales et d’une formation ciblée des jeunes talents – un axe cohérent avec la proclamation de 2025 comme « année de la jeunesse » au Congo.
Quand la culture épouse la diplomatie économique
Les observateurs étrangers retiennent souvent l’imaginaire festif du FESPAM. Or, l’événement sert désormais de forum semi-officiel où se négocient coproductions, tournées régionales et accords de distribution. Pour Brazzaville, il s’agit d’amplifier un soft power capable de conforter l’image d’un État stable et ouvert, doublé d’un marché culturel naissant. L’intégration du festival au calendrier de l’Union africaine, confirmée par le défilé des 55 drapeaux lors de la cérémonie de clôture, fournit un ancrage institutionnel qui sécurise les investisseurs. Dans ce schéma, la figure présidentielle joue un rôle fédérateur : elle garantit la continuité des engagements et rassure les partenaires publics comme privés.
Un capital symbolique à cultiver jusqu’en 2027
Le compteur s’arrête aujourd’hui sur une note d’espoir, mais l’instrument nécessite des réglages. Les ateliers ont pointé l’urgence de fonds dédiés à la numérisation des archives sonores, afin d’éviter la disparition irréversible d’un patrimoine qui participe de l’identité congolaise et, plus largement, africaine. L’annonce d’une feuille de route vers le FESPAM 2027, déjà en chantier, dessine une trajectoire où l’événement pourrait devenir, tous les deux ans, une véritable biennale des industries culturelles, avec un marché du droit d’auteur et un salon dédié aux start-ups de la musique.
Harmonie finale et échos régionaux
Au terme d’une semaine de concerts, de colloques et de négociations, il reste l’image d’un Congo qui choisit de miser sur la puissance tranquille de sa création artistique. Le FESPAM illustre la faculté d’un État à transformer une manifestation culturelle en levier de diplomatie publique, tout en générant un écosystème économique porteur de croissance inclusive. Entre la rumba classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO et la fluide montée en puissance du streaming local, Brazzaville aura rappelé, l’espace d’un festival, qu’une nation peut à la fois chanter et calculer, vibrer et anticiper. Rendez-vous est d’ores et déjà fixé pour 2027 ; les musiciens rangent leurs instruments, mais la partition politique, elle, continue de s’écrire.