Un chantier prioritaire pour l’État congolais
Dans le concert africain, la République du Congo s’est imposée, depuis l’adoption en 2015 du Système intégré de protection de l’enfant, comme l’un des laboratoires d’une approche systémique en faveur des droits de l’enfant. Portée au plus haut niveau par le président Denis Sassou Nguesso, la réforme répond à une double exigence : se conformer aux engagements internationaux du pays, dont la Convention relative aux droits de l’enfant et l’Agenda 2063 de l’Union africaine, et matérialiser l’ambition d’un développement humain inclusif inscrite dans le Plan national de développement. L’atelier de dissémination organisé le 31 juillet à Brazzaville par le ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et de l’Action humanitaire, avec l’appui constant de l’Unicef, a confirmé la centralité politique de cet objectif. Les responsables gouvernementaux l’ont rappelé : la protection de l’enfance n’est pas un programme sectoriel, mais un véritable indicateur de la solidité de l’État social congolais.
Une expérimentation territoriale sous la loupe
Sibiti dans la Lékoumou et l’arrondissement 4 Moungali à Brazzaville constituent, depuis huit ans, les terrains d’observation privilégiés du Sipe. Financé à hauteur de 647,4 millions de FCFA par les fonds thématiques de l’Unicef, le dispositif pilote a permis de tester la synergie entre services sociaux, santé, éducation, forces de sécurité et juridictions pour garantir un continuum de protection, depuis l’enregistrement à l’état civil jusqu’à la prise en charge judiciaire. Les préfets et maires concernés soulignent une baisse sensible des signalements non traités et une hausse des déclarations de naissance. Si ces résultats demeurent perfectibles, ils ont déjà inspiré d’autres collectivités, preuve de leur pouvoir d’entraînement.
Les enseignements d’une évaluation exigeante
L’évaluation indépendante conduite au premier semestre 2024 a mobilisé les critères classiques de la coopération internationale : pertinence, cohérence, efficacité, efficience, durabilité, droits humains, genre et équité. Les experts rappellent, dans une note de synthèse présentée par Roland Bris Kongo, que le Sipe s’aligne sur les Objectifs de développement durable et le cadre stratégique des Nations unies pour le Congo. Ils pointent toutefois une coordination inter-agences encore timide et des mécanismes de reporting financier appelés à gagner en transparence. La recommandation majeure appelle à une désagrégation plus fine des données par sexe, âge, handicap et localisation, étape indispensable pour affiner les politiques publiques. Les évaluateurs insistent également sur l’importance de capitaliser les acquis et de renforcer la communication institutionnelle afin de rendre visibles les progrès réalisés.
Vers une montée en puissance nationale
Sous l’égide du ministère des Finances, un groupe de travail interministériel examine déjà la transposition des enseignements dans l’ensemble des départements. La méthodologie préconise une extension graduelle, adossée aux instruments budgétaires existants, pour éviter toute rupture de charges. « Nous disposons désormais d’une matrice d’actions priorisées, allant de la formation des magistrats spécialisés à la création de cellules locales de data management », confie un haut fonctionnaire présent à l’atelier. Cette phase d’essaimage suscite l’intérêt de partenaires bilatéraux qui voient, dans la démarche congolaise, la preuve qu’un État peut concilier rigueur budgétaire et ambition sociale.
Le nerf de la guerre : financement et gouvernance
La durabilité du Sipe repose sur un panier financier mixte. Outre l’engagement déjà acté de l’Unicef, les autorités congolaises étudient la création d’un fonds national d’appui alimenté par une taxe de solidarité sur certains services mobile money, dispositif que plusieurs pays voisins expérimentent avec succès. Parallèlement, les médias publics et privés seront mobilisés pour soutenir une campagne de sensibilisation au micro-mécénat communautaire, illustrant la volonté de « nationaliser » la protection de l’enfance. Sur le plan de la gouvernance, la future loi d’orientation sociale, en discussion à l’Assemblée nationale, devrait clarifier le rôle de chaque acteur, du comité villageois au parquet pour mineurs, en passant par les directions départementales des affaires sociales.
Perspectives et scénarios diplomatiques
À court terme, la visibilité accrue du Sipe pourra renforcer la place du Congo dans les fora multilatéraux dédiés aux droits de l’enfant. Le pays ambitionne de présenter, lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme à Genève, un rapport volontaire soulignant les effets catalytiques de son approche territorialisée. Cette extériorisation répond à une logique d’influence douce : montrer qu’un État de taille moyenne peut innover et diffuser de bonnes pratiques en matière de gouvernance sociale. Sur le plan intérieur, la trajectoire esquissée s’inscrit dans la feuille de route des « Transformations sociales inclusives » annoncée par le chef de l’État. En créant les conditions d’une sécurisation systémique des enfants, le Congo-Brazzaville se dote d’un atout supplémentaire pour consolider la stabilité institutionnelle et attirer des partenariats de développement pérennes.