Une soirée festive qui dérape
Le 15 août, alors que Brazzaville vibrait aux rythmes de la fête de l’Indépendance, le stade Alphonse-Massamba-Débat accueillait un concert populaire réunissant plusieurs artistes urbains. Peu après 22 heures, des cris ont traversé les gradins, annonçant une agitation soudaine.
En quelques minutes, des groupes de jeunes identifiés comme des « bébés noirs » se sont affrontés à coups de projectiles et de bâtons, provoquant un mouvement de panique. Les spectateurs, venus en famille, ont cherché la sortie dans une confusion crépitante.
Le procureur de la République, André Gakala Oko, a dressé un bilan provisoire de quatre-vingt-un blessés légers, deux cas graves admis au Centre hospitalier et universitaire, ainsi que dix agents des forces de l’ordre légèrement touchés.
Quarante-trois suspects ont été interpellés dans la foulée pour participation à un attroupement armé et destruction de biens publics, dont deux véhicules de la gendarmerie endommagés lors des heurts.
Les bébés noirs, un phénomène urbain
Apparue dans les années 2010, l’expression « bébés noirs » désigne des bandes de mineurs et de jeunes majeurs issus pour la plupart des quartiers périphériques, parfois livrés à eux-mêmes et attirés par une forme de reconnaissance violente.
Le sociologue Rodrigue Mbemba observe que ces groupes « se construisent une identité collective sur la défiance envers l’autorité », un phénomène qui, selon lui, trouve racine dans le chômage juvénile et la déscolarisation partielle.
Depuis deux ans, plusieurs faits divers imputés aux bébés noirs ont défrayé la chronique à Talangaï, Makélékélé ou Moungali, poussant les autorités à multiplier les opérations de présence dissuasive dans les artères les plus fréquentées.
Un dispositif de sécurité pourtant renforcé
À la veille des festivités, la préfecture de Brazzaville avait annoncé un renfort de trois cents policiers, répartis entre le stade, les places publiques et les voies d’accès. Des contrôles de sacs étaient effectués aux portiques, selon le commissaire divisionnaire Michel Mabiala.
Malgré ce maillage, les affrontements ont démarré dans une zone qui venait d’être rénovée, près de la tribune populaire. La rapidité de propagation, expliquent des gendarmes, s’explique par la densité du public et l’utilisation de petites armes artisanales dissimulées.
Les forces de l’ordre ont formé un couloir de sécurité afin d’évacuer les blessés vers les deux ambulances prépositionnées. Elles ont ensuite quadrillé les secteurs de sortie pour identifier et maîtriser les principaux instigateurs, décrits comme « agités, mais peu coordonnés ».
Voix des témoins et des soignants
Du côté des spectateurs, la peur laisse place à l’incompréhension. Nathalie, étudiante de 22 ans, raconte avoir « ramassé un enfant en pleurs près de la scène » avant de courir vers la pelouse. Elle juge la réaction des forces de sécurité « rapide, mais inégale ».
Au Centre hospitalier et universitaire, le docteur Armand Loubé note surtout des contusions et des traumatismes liés aux chutes. « Nous n’avons pas observé de lésions par arme à feu. Les deux cas graves souffrent d’hématomes crâniens », précise-t-il.
Dans les quartiers sud, des parents s’inquiètent. Jonas, commerçant à Bacongo, estime que « la musique attire tous les publics, donc les fauteurs de troubles aussi. Il faut responsabiliser les familles et soutenir les jeunes plutôt que simplement les arrêter ».
Priorité gouvernementale à la prévention
Interrogé par nos soins, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Hugues Ngouélondélé, rappelle que « la sécurité des manifestations culturelles est une priorité nationale ». Il souligne la nécessité « d’associer les associations de quartier et les artistes à l’effort de sensibilisation ».
Depuis janvier, un programme pilote baptisé « Impulsions citoyennes » finance des ateliers de hip-hop et de théâtre dans cinq arrondissements. Selon le directeur du projet, Charles Mampouya, quinze anciens membres de gangs ont déjà accepté une formation d’agent de sécurité événementielle.
Le gouvernement compte également sur la montée en puissance des unités mixtes police-gendarmerie créées l’an dernier. Implantées près des établissements scolaires, elles interviennent de manière préventive, en lien avec les chefs de quartier et les comités de parents d’élèves.
Vers des concerts mieux encadrés
À la suite des violences, la Fédération congolaise de musique urbaine envisage un cahier des charges commun incluant un quota minimum d’agents de sécurité privés, la vidéosurveillance ponctuelle et une formation de médiateurs culturels chargés de repérer les tensions avant qu’elles n’éclatent.
Pour de nombreux artistes, la solution passe aussi par des concerts diurnes. Le rappeur King Ayongi affirme que « la nuit favorise l’alcool et la nervosité ; jouer à 16 heures réduit la tentation des bagarres ». Les producteurs étudient déjà des scénarios adaptés.
Du côté des supporters sportifs, habitués du stade, la demande est claire : préserver ce lieu emblématique des débordements. « Le Massamba-Débat appartient à tous les Congolais. Nous voulons continuer à y célébrer nos victoires sans peur », insiste Henri, membre d’un club de supporters.
Les conclusions de l’enquête judiciaire sont attendues dans les prochaines semaines. Elles devraient préciser le rôle de chaque suspect et orienter de possibles poursuites. D’ici là, la capitale s’interroge sur les conditions d’un divertissement sûr, accessible et pleinement fédérateur.