Libreville mise sur la consultance d’influence continentale
À l’heure où les États et les grandes entreprises africaines investissent de plus en plus dans la diplomatie d’influence, la naissance d’Eko Agence, annoncée depuis Libreville par l’ancien ministre gabonais de la Communication Rodrigue Mboumba Bissawou, constitue un indicateur supplémentaire de la maturation du marché. L’offre se veut résolument continentale, mais reste ancrée dans les réalités locales : comprendre les dynamiques de pouvoir dans les capitales régionales, décrypter les perceptions citoyennes et proposer des messages calibrés pour des audiences multiples. Ce positionnement sied à un environnement où la bataille de l’opinion publique se joue autant sur les tribunes institutionnelles que sur les fils des réseaux sociaux, et où les gouvernements recherchent des partenaires capables d’allier sens politique et agilité technologique.
Un capital politique converti en expertise privée
Rodrigue Mboumba Bissawou ne s’avance pas en terrain inconnu. Formé à l’Institut Supérieur de Management de Dakar, passé par le leader mondial WPP, il a surtout affûté sa connaissance de la machine étatique lors de ses fonctions au Bureau de coordination du plan stratégique Gabon émergent puis au palais présidentiel de 2020 à 2023. Ses mois au ministère de la Communication, période durant laquelle il gérait à la fois l’information gouvernementale et la relation avec les médias internationaux, lui ont offert une lecture fine des systèmes décisionnels. « Changer de camp sans changer de vocation : je reste un diplomate de la parole », confie-t-il, soulignant la continuité entre service public et activité de conseil.
Une offre intégrée, de l’intelligence artificielle au media training
Structurée autour de six pôles – affaires publiques, influence digitale, relations médias, media training, communication stratégique et formation –, Eko Agence revendique une approche holistique. Sa particularité réside dans l’intégration d’outils d’intelligence artificielle permettant de cartographier en temps réel les conversations en ligne et de mesurer l’empreinte des campagnes sur des segments d’audience précis. « L’IA sert ici de boussole décisionnelle, non de gadget », insiste la directrice de la recherche, la Camerounaise Thérèse Ndom, qui évoque un taux d’anticipation des crises réputationnelles supérieur à 80 %. L’objectif est de fournir aux clients un tableau de bord dynamique, fonction immédiatement prisée par les opérateurs énergétiques et les bailleurs multilatéraux selon les premiers contrats signés.
Une stratégie panafricaine orientée résultats
Le choix d’un siège à Libreville n’empêche pas l’agence de viser un maillage rapide des principales places diplomatiques africaines. Des bureaux relais sont annoncés à Abidjan, Dakar et Brazzaville, signe que l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest sont perçues comme des marchés complémentaires. Le politologue congolais Armand Okouya y voit « la traduction d’un besoin croissant de services capables de dialoguer à la fois avec les chancelleries occidentales et avec la jeunesse connectée », lorsque la chercheuse marocaine Salma Bensalem rappelle que le capital-confiance reste la première barrière d’entrée pour tout cabinet non enraciné localement.
Pour une souveraineté narrative en Afrique centrale
La montée en puissance d’acteurs régionaux comme Eko Agence participe à un mouvement plus large de reconquête de la souveraineté narrative. En Afrique centrale, où les cycles électoraux sont souvent scrutés avec méfiance depuis l’extérieur, disposer de compétences endogènes en storytelling permet de ne pas laisser le récit national se construire exclusivement hors du continent. Libreville, Brazzaville et Kinshasa partagent d’ailleurs une même préoccupation : accompagner les transitions économiques sans laisser proliférer les discours anxiogènes. Dans cette optique, le couplage entre data science et ancrage culturel proposé par l’agence trouve un terrain d’application immédiat, qu’il s’agisse de la communication sur les investissements d’infrastructures ou des campagnes de santé publique.
Cap vers une nouvelle grammaire de la communication africaine
À terme, Eko Agence ambitionne de devenir la « place de marché » de l’expertise en influence africaine. Pour y parvenir, l’entreprise mise sur un modèle hybride mêlant conseil sur mesure, production de contenus multilingues et programmes de formation certifiants. L’enjeu n’est pas seulement économique, il est aussi diplomatique : renforcer la capacité des organisations africaines à parler d’une même voix dans les forums internationaux. Dans un paysage global où les alliances se reconfigurent au gré des urgences climatiques et sécuritaires, l’initiative de M. Mboumba Bissawou illustre la volonté d’une génération de dirigeants de donner corps à une nouvelle grammaire de la communication, plus souveraine, plus responsable et revendiquée depuis le continent.