Contexte régional de l’innovation éducative
Sous un soleil de fin de saison sèche, les collines de Brazzaville bruissent d’une nouvelle énergie. L’élan de la jeunesse vers les sciences et le numérique est palpable, stimulé par une série d’initiatives qui cherchent à moderniser l’école congolaise sans attendre d’imposants chantiers.
Au cœur de cette dynamique, l’association Havre d’Équité a conçu EduLab Mobile, une salle de classe roulante dotée d’équipements scientifiques et informatiques. Le véhicule, aménagé comme un mini-laboratoire, sillonne déjà la ville pour offrir des ateliers pratiques aux élèves souvent privés de matériel expérimental.
Des laboratoires sur roues pour combler le fossé
D’après le ministère de l’Éducation, moins d’un lycée public sur cinq possède une paillasse de chimie fonctionnelle. La situation est similaire à l’université, où beaucoup improvisent les TP avec des vidéos. EduLab Mobile veut corriger ce déséquilibre.
Le concept repose sur un camion léger équipé de microscopes, kits de robotique, ordinateurs et générateurs solaires. Il se gare directement dans la cour des établissements, monte des bancs escamotables et transforme l’espace en laboratoire. Les élèves manipulent, mesurent et programment sous l’œil attentif de jeunes formateurs bénévoles.
Soutien de la Confejes et reconnaissance internationale
En mars, la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie a décerné à EduLab Mobile son Premier Prix numérique 2024, devant le Bénin et Madagascar. La récompense s’accompagne d’un financement couvrant l’acquisition du véhicule, du matériel et la formation des opérateurs.
Venue à Brazzaville pour évaluer les projets, la secrétaire générale de la Confejes, Louisette Thobi, s’est dite « impressionnée par la rigueur technique et l’enthousiasme » autour du camion-laboratoire. Selon elle, l’initiative répond aux priorités régionales fixées lors du dernier sommet de Kinshasa.
Le directeur départemental de la jeunesse, Herman Mawa, voit dans ce partenariat un modèle réplicable. « Les ressources publiques sont comptées, reconnaît-il, mais un projet agile, bien pensé, peut convaincre les bailleurs. » Son service envisage d’intégrer le camion dans le calendrier officiel des activités parascolaires dès septembre.
Témoignages des acteurs locaux
À l’école Gamal Abdel Nasser, les lycéens ont alimenté un micro-contrôleur pour produire un signal lumineux. « Pour la première fois, j’ai programmé quelque chose que je peux toucher », sourit Mireille, 16 ans, future ingénieure autoproclamée. Ses camarades scandent déjà le surnom “Lab sur roues” en langue lingala.
Dans les couloirs de la Faculté des sciences, le professeur Ngakala, physicien, affirme que ses étudiants ont parfois trois ans de retard pratique par rapport au programme. « Le camion supprime la barrière de la distance. Il amène nos TP où l’eau courante et l’électricité manquent ». L’auditoire acquiesce.
Pour Nathalie Ngoma, coordonnatrice du Programme de promotion de l’entrepreneuriat des jeunes, l’impact dépasse l’école. Elle explique que les sessions de codage mobile ont déjà débouché sur deux prototypes d’applications de paiement local, conçues par des étudiants et en cours de test dans des kiosques de quartier.
Même la mairie de Poto-Poto s’y intéresse. Un conseiller évoque une collaboration pour initier des ateliers sur la gestion des déchets plastiques via des expériences chimiques simples. « Impliquer les écoles dans les problèmes urbains développe la citoyenneté scientifique », estime-t-il, dépliant la carte des principaux sites d’intervention.
Prochaines étapes et enjeux pour la jeunesse congolaise
Dès la prochaine rentrée, EduLab Mobile prévoit d’étendre son rayon d’action jusqu’à Kinkala et Mindouli. Le défi logistique est important : routes abîmées, connectivité incertaine, carburant coûteux. L’équipe explore donc l’option d’un second véhicule électrique, assemblé localement, qui serait alimenté par des stations solaires communautaires.
Sur le plan pédagogique, un manuel d’expérimentation rapide est en cours de validation par l’Inspection générale. Il recense trente protocoles de physique, chimie ou algorithmique réalisables en moins d’une heure. Les enseignants pourront le télécharger sur une plateforme open source créée avec l’appui d’ingénieurs de l’Université Marien-Ngouabi.
Le modèle financier repose sur un mélange de subventions internationales, de contributions publiques et d’accords privés. Des sociétés minières du sud étudient un cofinancement en échange de modules sur la sécurité industrielle. La Banque postale congolaise envisage un mécénat en matériel informatique.
Reste la question de l’échelle. Avec un seul camion, le projet touche 8 000 apprenants par trimestre, selon les registres signés par les professeurs. Passer à dix véhicules exigerait un investissement que les porteurs estiment à un milliard de francs CFA, véhicules électriques compris, formation incluse.
Le ministère de l’Économie numérique observe l’initiative avec intérêt, car elle rejoint sa feuille de route stratégique 2025 qui veut « démocratiser l’accès aux compétences STEM ». Un groupe de travail mixte planche déjà sur la normalisation des contenus afin de permettre une certification reconnue dans tout le Cames.
Si le camion ne prétend pas résoudre toutes les carences, il sert d’étincelle. Comme le résume Louisette Thobi, « chaque expérimentation réussie nourrit la confiance ». À Brazzaville, la jeunesse guette le klaxon d’EduLab Mobile, symbole roulant d’un Congo investi dans sa matière grise.