Une dette désormais sous surveillance
Brazzaville observe ses finances comme un médecin son pouls. Depuis la publication récente des statistiques de la Caisse congolaise d’amortissement, la question de la dette publique s’est invitée dans les conversations, de la cour d’université aux plateaux télévisés.
Le gouvernement, par la voix du ministre des Finances Christian Yoka, a rappelé sa cible : ramener le ratio dette/PIB à 60 % d’ici 2029, sans sacrifier la relance économique ni les programmes sociaux.
Des chiffres qui éclairent
Selon le dernier relevé, l’encours a atteint 8 386,77 milliards de FCFA fin mai, soit une progression mensuelle de 0,83 %. Le mouvement paraît modeste, mais il découle d’un accroissement marqué des décaissements, eux-mêmes portés par la vigueur du marché domestique.
La CCA détaille une structure diversifiée : dette de marché à 31,28 %, engagements non conventionnés à 22,03 %, créanciers multilatéraux à 13,37 %. Les partenaires du Club de Paris ne concentrent plus que 2,86 %, signe d’une dette désormais surtout financée localement.
Les ressorts de la hausse de mai
Le bond de 78,41 % des décaissements domestiques entre avril et mai témoigne de l’appétit des investisseurs pour les obligations d’État, dopé par une liquidité bancaire abondante et des taux attrayants fixés lors des adjudications successives de l’Agence UMOA-Titres.
Parallèlement, les paiements ont progressé de 44,03 %, limitant l’impact de l’endettement brut sur le ratio final. « La soutenabilité passe d’abord par le respect des échéances », insiste un cadre de la trésorerie, évoquant un taux d’exécution des charges financières de 186 % des prévisions.
Marché domestique, acteur central
Les données prévisionnelles pour le second semestre montrent que 78 % du service de la dette sera consacré aux créanciers internes, essentiellement les banques et les sociétés d’assurance. Ce choix réduit le risque de change et renforce la circulation d’épargne au sein de l’économie locale.
Les institutions multilatérales demeurent cependant le premier réceptacle des remboursements actuels, à près de 96 % sur mai. Pour le ministère, cette priorité renvoie au besoin de préserver la confiance de partenaires comme la Banque mondiale et le FMI, précieux pour l’accès aux financements concessionnels.
Réformes budgétaires et gouvernance
L’optimisme du FMI reste conditionné à la poursuite des réformes. Parmi elles, l’automatisation de la chaîne de dépense, l’élargissement de l’assiette fiscale numérique et la publication trimestrielle des statistiques de dette, qui accroissent la transparence et facilitent le contrôle parlementaire.
« Nous devons consolider les recettes intérieures, car l’or noir est volatil », confie Josiane Ngatsé, économiste à l’université Marien-Ngouabi. Elle évoque la taxe sur les services numériques et l’extension du guichet unique des douanes comme leviers pour créer l’espace budgétaire destiné aux secteurs sociaux.
Dialogue avec les créanciers
Depuis le dernier Club de Paris tenu à Paris en 2019, Brazzaville a régulièrement converti une partie de sa dette bilatérale en échéanciers plus longs. Des négociations additionnelles sont envisagées pour 2026 afin d’aligner les maturités sur le rythme de reprise post-pandémie.
Les analystes saluent cette diplomatie financière. « La signature congolaise se renforce à mesure que la discipline budgétaire s’installe », estime Benoît Lobali de la Banque centrale des États de l’Afrique centrale. Selon lui, la confiance abaise le coût du crédit et libère des marges pour l’investissement productif.
Objectif 60 % du PIB en 2029
Pour atteindre la barre des 60 % en quatre ans, les autorités misent sur une croissance annuelle moyenne de 4 %, une inflation contenue et un déficit primaire proche de l’équilibre. Le boom attendu du gisement pétrolier de Marine XXVII devrait soutenir cette trajectoire.
Le Plan national de développement 2022-2026 identifie en outre l’agriculture, la transformation du bois et l’économie numérique comme relais capables de générer des recettes fiscales diversifiées. La conduite simultanée de grands projets routiers favorise l’intégration des bassins de production aux marchés urbains.
Jeunes et secteur privé à la croisée
Dans les rues de Ouenzé, Bienvenu, vendeur de téléphones, résume l’attente populaire : « Nous voulons des débouchés clairs pour nos affaires ». Stabiliser la dette, selon plusieurs entrepreneurs, offrirait un signal fort aux investisseurs étrangers en quête de stabilité macro-économique.
Le ministère des PME prépare un fonds de garantie qui, combiné à une courbe de taux plus lisible, devrait favoriser l’accès au crédit des start-up locales. L’enjeu est de convertir la confiance financière en emplois, condition indispensable pour pérenniser les gains budgétaires.
Perspectives régionales
L’expérience congolaise est suivie par les voisins de la CEMAC qui, eux aussi, affrontent la hausse des taux mondiaux. Les progrès réalisés à Brazzaville pourraient servir de laboratoire pour les mécanismes collectifs de gestion de dette envisagés par la conférence des chefs d’État.
En attendant, la discipline monétaire et la politique de taux de la BEAC complètent la stratégie nationale. Les analystes jugent que le recentrage sur le marché domestique donne au Congo une marge d’adaptation, à condition de maintenir la cadence des réformes annoncées.
Vers un horizon assaini
Le chemin reste long, mais les signaux convergent : la dette se stabilise, la croissance revient, l’engagement politique demeure. Pour les jeunes Brazzavillois, le défi est double : croire à l’assainissement et saisir les opportunités d’une économie plus robuste.