Aux origines des sociabilités forestières (100 000-1 000 av. J.-C.)
Si l’Afrique centrale recèle des vestiges d’un passé très ancien, l’occupation humaine massive des forêts du bassin du Congo paraît tardive au regard de l’échelle continentale. Les outils bifaciaux de tradition sangoane, datés par thermoluminescence entre 100 000 et 40 000 ans avant notre ère, témoignent d’adaptations techniques à un milieu réputé hostile. « L’archéologie démontre que la vallée de la Sangha fut un carrefour d’itinérances », observe le Dr Amissa Bongo, de l’Université Marien Ngouabi. Les communautés, davantage collectrices que chasseuses, sillonnaient un territoire mouvant où l’abondance végétale compensait la relative rareté du gibier de grande taille.
À la suite de cette culture, la tradition lupembane, puis le faciès tshitolien, raffinèrent l’industrie lithique et confirmèrent l’importance du piégeage et de la pêche. Les premiers foyers sédentaires restent sporadiques, mais la structuration sociale se précise autour de maisonnées extensives dominées par un « grand homme » chargé d’arbitrer les échanges internes.
La mosaïque agricole et linguistique bantoue
Les récentes analyses paléobotaniques invitent à revoir le calendrier de la révolution agricole au Congo. Des charbons de palmier et des macro-restes de millet retrouvés en bordure de la basse vallée du fleuve suggèrent une domestication précoce, dès le premier millénaire avant notre ère, par des Bantous des savanes occidentales. L’introduction de la houe en bois de palme épaissi, évoquée dans plusieurs traditions orales, permit l’essor d’un itinéraire agraire fondé sur la rotation entre clairières et jachères brûlées.
La conséquence immédiate fut une dynamique démographique qui accentua la diffusion des langues bantoues, aujourd’hui encore remarquablement inter-intelligibles. Les locuteurs adamawa-ubangi du Nord, loin d’être isolés, participaient à un réseau d’échanges de sel gemme et de parures coquillières attesté par les fouilles de Makabana.
L’essor des royaumes Loango, Kongo et Tio (1000-1500)
Entre le XIᵉ et le XVᵉ siècle, la densification des villages et la multiplication des autels de culte ancestral révèlent l’émergence de chefferies de plus en plus hiérarchisées. Sur les marges littorales, les contrôles rituels des sanctuaires marins donnèrent naissance au royaume de Loango, tandis que l’embouchure du Djoué voyait se consolider Kongo dia Ntotela. Plus à l’est, les plaines du Plateau Téké servirent de matrice au royaume Tio, fruit d’alliances inter-claniques scellées par le commerce du raphia et du cuivre.
Le pouvoir reposait sur la médiation avec les forces invisibles : le nganga, prêtre-devin, légitimait l’autorité du mani ou du makoko, lequel redistribuait coquillages nzimbu, étoffes de raphia et produits forestiers. Cette redistribution, notent les anthropologues de l’IFAN, accomplissait une fonction économique et morale qui cimentait l’espace politique sans appareil coercitif lourd.
Premiers contacts luso-kongolais : un dialogue contrarié (1483-1600)
L’arrivée du navigateur Diogo Cão à l’embouchure du Zaïre en 1483 inaugura une aventure diplomatique intense. Le mani Kongo Nzinga a Nkuwu envoya des émissaires à Lisbonne, et plusieurs jeunes nobles furent éduqués dans les collèges portugais. L’accord reposait sur l’échange de savoirs militaires et de missionnaires contre l’accès aux filons de cuivre de Mindouli.
Toutefois, l’essor des plantations sucrières de São Tomé bouleversa l’équilibre. À partir des années 1530, la demande en main-d’œuvre servile transforma la façade atlantique en zone de capture. Comme le souligne l’historien angolais Paulo Faria, « le commerce légitime bascula vers un trafic humain qui échappait aux médiations royales ». Le souverain kongo Alfonso Iᵉʳ tenta de moraliser les pratiques, sans réussir à contenir les réseaux locaux.
Traite atlantique et recompositions sociales (1600-1800)
Du Cabinda à Pointe-Noire, les archives croisées révèlent qu’entre le XVIIᵉ et le XVIIIᵉ siècle, jusqu’à 40 % des captifs embarqués provenaient des marges forestières contrôlées par des chefs de guerre désormais autonomes. Chez les Tio, l’autorité centrale dut composer avec des lignages occidentaux spécialisés dans la traite, tandis que les provinces orientales misaient sur le commerce d’ivoire et de poudre de raphia.
Paradoxalement, l’économie atlantique introduisit des cultures américaines – maïs, manioc, arachide – qui, en favorisant de fortes densités rurales, préparèrent l’émergence de nouvelles centralités. Le travail féminin s’en trouva accru : transformation du manioc en chikwangue, revente sur les marchés de Mpila ou de Loango. Cette intensification redessina la division sexuelle des tâches, posant les jalons d’une économie de subsistance résiliente qui survit encore dans les quartiers périurbains de Brazzaville.
Résonances contemporaines d’un passé pluriel
L’intérêt croissant pour cet héritage se manifeste aujourd’hui par la valorisation des sites archéologiques de Madingo-Kayes ou la réhabilitation du musée royal de Loango, initiatives soutenues par le ministère congolais de la Culture. Lors de la présentation du Plan national de développement culturel, la ministre Lydie Pongault a rappelé que « la connaissance de nos trajectoires ancestrales nourrit l’unité nationale et renforce notre projection vers l’économie de la connaissance ».
Au-delà de la mémoire, la longue durée éclaire des questionnements actuels : gestion durable des forêts, circulation des langues royales sur les plateformes numériques, ou encore diplomatie fluviale avec les États voisins. En redécouvrant les ressorts d’une mobilité ancienne, chercheurs et acteurs publics se donnent les moyens d’imaginer de futures coopérations régionales, en cohérence avec la vision d’intégration portée par les autorités du Congo-Brazzaville.