Un départ qui secoue la scène littéraire
Déo Namujimbo s’est éteint dans la nuit du 31 août à Vigneux-sur-Seine, d’après un communiqué familial diffusé lundi matin. Cette disparition marque la fin d’un parcours littéraire singulier, nourri par les deux rives du fleuve Congo et les boucles de la Seine.
Natif de Bukavu en 1968, l’écrivain s’était imposé comme l’une des voix majeures de la diaspora congolaise grâce à des romans, des nouvelles et une poésie traversée de nostalgie et d’ironie. Son style, conciliant imaginaire africain et rigueur universitaire, lui avait valu plusieurs distinctions.
En 2009, menacé après ses enquêtes journalistiques dans l’est de la RDC, il avait choisi l’exil en France. Installé en région parisienne, il multipliait conférences, ateliers d’écriture et chroniques sur les ondes communautaires, sans jamais rompre le dialogue avec Kinshasa ni avec Brazzaville.
Les préparatifs des funérailles en Île-de-France
Le deuil se tient au 14 rue Leclerc, à Vigneux-sur-Seine. Pour l’instant, aucun programme officiel n’est communiqué, mais les proches veulent concilier les rites coutumiers banyamulenge et les usages républicains français.
Son frère, Aimé Namujimbo, confie que « Déo militait pour un pont culturel entre les jeunesses des deux Congo et la France ; ses obsèques respecteront cette ouverture ». L’ambassade de la République du Congo à Paris a d’ores et déjà signé le livre de condoléances.
La ministre congolaise de la Culture, Lydie Pongault, a salué « une plume fraternelle qui a su célébrer la vitalité brazzavilloise », rappelant que l’écrivain avait animé en 2016 un festival de slam sur la corniche. Ce souvenir reste vif parmi les artistes locaux interrogés hier.
Un essai choc sur la crise à l’Est de la RDC
Dernier jalon de son engagement, l’essai La grande manipulation de Paul Kagame, co-signé avec la journaliste Françoise Germain-Robin, dissèque trente ans de crises à l’Est de la RDC. Les 365 pages détaillent notamment le rôle des différentes rébellions et les ressorts géopolitiques régionaux.
Dans une interview donnée à Radio Okapi, Déo Namujimbo expliquait avoir voulu « replacer les habitants dans le récit, au-delà des cartes minières ». Il pointait aussi le silence international entourant les violences, rejoint sur ce point par le médecin congolais Denis Mukwege.
L’ouvrage a eu un écho particulier à Brazzaville, où plusieurs librairies du centre-ville affichaient complet deux semaines après sa sortie. « Les jeunes lecteurs sont venus chercher une clé de compréhension sur les tourments régionaux », souligne Sylvain Bakala, gérant de la Librairie du Plateau.
Certains chercheurs remarquent toutefois que le livre ouvre plus de pistes qu’il n’apporte de conclusions. Pour Jean-Claude Ibovi, maître de conférences en histoire, « la force de Namujimbo repose sur la mise en récit, pas sur l’accusation frontale ; il privilégie le débat ».
Brazzaville rend hommage à l’auteur
Au quartier Poto-Poto, sa disparition alimente déjà les conversations. Les étudiants en lettres interrogés à l’Institut supérieur pédagogique disent apprécier un auteur qui « parlait de Bukavu mais pensait aux deux rives du fleuve ». Des veillées littéraires improvisées se préparent dans plusieurs cafés culturels.
Le journaliste brazzavillois Jean-Robert Mankassa rappelle que Namujimbo avait été juré du prix Mabina-Makoua en 2021. « Il était attentif aux premières plumes, distribuait conseils et adresses d’éditeurs », se souvient-il, plaidant pour qu’un hommage officiel figure au calendrier culturel.
Du côté des autorités, aucune commémoration institutionnelle n’est encore annoncée. Toutefois, un responsable du ministère de la Communication indique que « des discussions sont en cours pour associer la Télévision congolaise à la retransmission des funérailles, afin de permettre à la population de participer à distance ».
Un héritage vivant pour la jeunesse
Au-delà de l’émotion, nombreux sont ceux qui insistent sur l’héritage pédagogique de l’auteur. Ses ateliers encourageaient les jeunes à documenter leur quotidien, à vérifier leurs sources et à préserver la pluralité linguistique. Une méthode désormais reprise par plusieurs associations civiques de Bacongo et Talangaï.
L’universitaire Roxane Miandaba voit dans cette pédagogie « une invitation à raconter la ville autrement que par la seule chronique des difficultés ». Elle estime que les manuscrits inédits du défunt pourraient servir de support d’étude, si la famille accepte de les confier aux archives nationales.
À Makélékélé, le club de lecture Mboka se propose d’attribuer un prix Déo-Namujimbo récompensant un premier roman urbain. L’annonce circule sur les réseaux sociaux, où l’hashtag #MerciDeo cumule en quelques heures des milliers de partages des deux rives du fleuve Congo.
Dans ces hommages, la figure de l’écrivain rejoint celle des passeurs de mémoire qu’affectionne la littérature congolaise. Sa trajectoire rappelle que l’exil n’efface ni l’engagement citoyen ni l’amour de la culture. Reste désormais à perpétuer cette exigence de lucidité et de dialogue.
Un collectif d’étudiants en informatique annonce la création d’une plateforme dédiée, où seront rassemblées conférences, podcasts et extraits de ses romans afin de « garder vivante la parole de Déo », précisent-ils. La mise en ligne est prévue pour la fin d’année.