Contexte d’une transition nutritionnelle à l’école
Au Congo, la pause de midi reste pour des milliers d’élèves l’un des rares moments où la promesse d’un repas équilibré se concrétise. Les programmes de cantines, longtemps soutenus par le Programme alimentaire mondial, couvrent aujourd’hui près de 300 000 enfants selon les estimations convergentes des ministères de l’Éducation et de la Santé. Or, la dépendance à l’aide extérieure interroge la pérennité d’un dispositif considéré comme un maillon essentiel de la lutte contre l’insécurité alimentaire infantile.
L’annonce, au début d’août à Brazzaville, de l’élaboration d’une politique nationale de cantines scolaires à l’horizon 2025 propose un tournant décisif. « Le processus de transition est engagé », a confirmé Gon Myers, représentant du PAM, rappelant qu’un accord prévoit un passage progressif de la gestion au ressort exclusif de l’État congolais. En filigrane, l’objectif consiste à inscrire le repas de la mi-journée dans la stratégie nationale de développement des compétences – la nutrition devenant l’alliée discrète de la réussite scolaire.
Les enseignements du projet « Semence d’Avenir »
Lancé en décembre 2023, ce projet pilote a éprouvé, dans vingt-cinq établissements primaires de trois départements, un modèle reposant sur les produits agricoles locaux. Dix de ces écoles appliquent déjà intégralement le nouveau référentiel, preuve tangible qu’une chaîne logistique courte est techniquement faisable même dans les zones enclavées.
Au-delà de la fourniture de repas, « nous avons démontré qu’il est possible d’articuler l’éducation, la production et la sécurité alimentaire autour d’un même objectif », a résumé le Dr Pitchou Prudence Banga-Mboko, directrice de l’Enseignement préscolaire. Les quatre manuels remis aux autorités – achats auprès des petits producteurs, contrôle citoyen, suivi-évaluation et bonnes pratiques agricoles – constituent autant de briques méthodologiques pour généraliser l’expérience.
Vers un modèle ancré dans l’agriculture familiale
La future politique entend systématiser l’achat direct auprès des exploitations familiales, à l’image du modèle brésilien. Ce choix traduit une double ambition : sécuriser l’approvisionnement en denrées fraîches et injecter des revenus stables dans les économies rurales. « Le modèle brésilien, fondé sur l’inclusion sociale, peut être adapté aux réalités africaines », a insisté Ana Suza, ministre brésilienne de la Coopération internationale, venue constater les résultats dans les écoles pilotes.
Pour les producteurs congolais, souvent soumis aux aléas des marchés informels, la commande publique scolaire représente une demande prévisible susceptible de structurer la planification culturale. Certaines coopératives de la Bouenza et des Plateaux signalent déjà une hausse de 15 % de leurs surfaces maraîchères depuis le démarrage du projet, signe que l’appel d’air est réel.
Les enjeux budgétaires et institutionnels
Si la vision est claire, la montée en charge interpelle les finances publiques. Le coût d’un repas équilibré oscille aujourd’hui entre 350 et 400 FCFA selon les localités. À couverture totale, la dépense annuelle dépasserait vingt milliards de francs CFA, un montant que les experts du ministère des Finances jugent absorbable à condition de mobiliser des ressources innovantes : taxe de solidarité sur les jeux, mécanisme de compensation carbone, partenariats avec le secteur extractif.
La gouvernance représente l’autre colonne vertébrale. Le futur décret d’application prévoit un Comité national d’alimentation scolaire, doté d’un guichet unique pour les achats. La décentralisation progresserait par paliers, donnant aux collectivités la latitude d’adapter les menus aux calendriers agricoles locaux, tout en respectant un cahier des charges nutritionnel commun.
La perspective des partenaires internationaux
Le PAM, le Centre d’excellence contre la faim au Brésil et la FAO s’accordent à dire que le Congo dispose des atouts pour réussir la transition : une production vivrière diversifiée, un maillage de coopératives émergent et une volonté politique réaffirmée par le chef de l’État lors des dernières Assises nationales sur l’éducation. Les partenaires se projettent désormais comme catalyseurs techniques, plutôt que pourvoyeurs permanents de vivres.
« Notre mandat n’est pas de nourrir indéfiniment, mais d’accompagner la souveraineté alimentaire », rappelle Maria Giulia, responsable du Centre d’excellence. D’ores et déjà, un transfert progressif de compétences logistiques est planifié, afin que les cadres congolais puissent piloter la chaîne d’approvisionnement sans tutelle extérieure d’ici trois ans.
Quel impact pour les communautés rurales ?
Les premiers retours de terrain soulignent un effet vertueux. Dans le district de Ngabé, la fréquentation scolaire aurait grimpé de 8 % depuis l’introduction des repas chauds, surtout chez les filles. Les parents, soulagés d’un fardeau financier quotidien, réinvestissent parfois dans les fournitures ou le transport.
À plus long terme, l’enjeu dépasse le périmètre des écoles. Il s’agit de forger un écosystème où l’alimentation scolaire devient un débouché sûr, synonyme de planification agricole, de diversification des régimes et de création d’emplois non agricoles – transport, conservation, transformation. Pour les économies villageoises, la cantine pourrait ainsi se révéler levier de développement territorial, conformément à l’ambition rappelée par la directrice de l’Enseignement de base : « capitaliser sur les acquis pour bâtir un système équitable et générateur de croissance locale ».