Brazzaville place ses pions verts
En marge des grandes capitales climat du Nord, Brazzaville s’affirme comme un carrefour stratégique où forêts et diplomatie se conjuguent. Le pays, fort d’un couvert végétal couvrant environ 65 % du territoire, multiplie initiatives pour transformer cet atout naturel en levier global.
Cette posture proactive est portée par le président Denis Sassou Nguesso qui revendique une “diplomatie climatique de solutions” : journées nationales de l’arbre, Décennie d’afforestation, conférences internationales. L’objectif est double : protéger un patrimoine vital et attirer des financements encore concentrés ailleurs.
Une forêt, un passeport diplomatique
Au dernier sommet sur le climat, les négociateurs congolais ont rappelé que le bassin du Congo absorbe chaque année plus de carbone que l’Amazonie, selon le Global Carbon Project. Pourtant, l’aide dédiée à sa conservation reste vingt-cinq fois inférieure aux enveloppes sud-américaines.
Brazzaville mise alors sur un arsenal d’arguments scientifiques, juridiques et moraux. Les concessions forestières certifiées dépassent aujourd’hui trois millions d’hectares; le taux annuel de déforestation demeure sous 0,05 %. Ces marqueurs nourrissent un discours de crédibilité auprès des partenaires techniques et des bailleurs.
Allier reboisement et attractivité financière
En juillet 2024, la Conférence internationale sur l’afforestation et le reboisement a officiellement lancé la Décennie des Nations unies pour le boisement 2027-2036. Les participants ont convenu de mobiliser cinq milliards de dollars afin de soutenir une économie verte fondée sur des crédits carbone robustes.
Un comité de suivi, dont le secrétariat sera hébergé à Brazzaville, devra sécuriser les droits fonciers, harmoniser les études d’impact et garantir la transparence des flux financiers. “L’investisseur veut de la lisibilité, pas de la rhétorique”, résume un consultant du Fonds vert pour le climat.
Plusieurs entreprises forestières certifiées, dont Interholco et CIB-OLAM, se disent prêtes à cofinancer des pépinières communautaires en échange d’un accès prioritaire aux crédits carbone futurs. Le modèle public-privé, testé à Pokola, a déjà permis la plantation de deux millions d’arbres en trois ans.
Le gouvernement table aussi sur la finance innovante. Un premier “green bond” national, annoncé pour 2025, pourrait être adossé à des projets pilotes d’agroforesterie dans les départements de la Sangha et de la Likouala. Les discussions avec deux banques sous-régionales sont déjà avancées.
Les communautés autochtones au centre
Brazzaville a abrité le premier Congrès mondial des peuples autochtones des grands bassins forestiers. Femmes et jeunes leaders y ont défendu leur droit à gérer directement les ressources qui garantissent 80 % de la biodiversité mondiale, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
“La réponse, c’est nous”, a lancé Rukka Sombolinggi, voix des femmes Dayak. L’appel vise à passer d’une approche descendante à une gouvernance partagée. Le ministère congolais des Affaires sociales prépare un décret pour intégrer les représentants autochtones dans les futures agences de régénération forestière.
Pour consolider ces avancées, deux plateformes, l’Alliance des femmes leaders et le Réseau des populations autochtones pour la gestion durable, élaborent une feuille de route axée sur la formation, l’accès aux microcrédits et la propriété communautaire. Les bailleurs exigent désormais ces garanties sociales avant tout décaissement.
Tourbières : l’autre trésor caché
À la frontière des deux Congo s’étend un complexe de tourbières équivalent à la superficie de la Grèce. Ces marécages retiennent quelque 30 gigatonnes de carbone, d’après le Centre de recherche forestière internationale, soit trois ans d’émissions mondiales.
Une conférence internationale dédiée aux tourbières est annoncée pour mars 2026 à Brazzaville. Objectif : établir un protocole commun de surveillance satellitaire, définir des zones strictes de conservation et créer un mécanisme de paiement pour services écosystémiques, comparable à celui mis en place en Indonésie.
Le ministre congolais de l’Environnement rappelle cependant que les promesses doivent se traduire en ressources. “Nos tourbières ne seront pas un musée gratuit”, avertit-il. Les autorités espèrent obtenir 200 millions de dollars d’ici 2028 pour financer la recherche, l’écotourisme et la surveillance communautaire.
Cap 2026 : des attentes concrètes
D’ici la conférence de 2026, le Congo entend finaliser une cartographie haute résolution de tout son couvert forestier. Le projet, mené avec l’Agence spatiale européenne, doit fournir des données ouvertes aux chercheurs congolais et internationaux, renforçant ainsi la diplomatie par la science.
Sur le plan intérieur, un projet de loi sur le changement climatique sera présenté au Parlement en 2025. Il consacrera le principe pollueur-payeur et fixera un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, assorti de quotas d’émissions négociables pour les industries extractives.
La même loi instaurera une redevance sur l’exportation de bois brut, dont 30 % abonderont un Fonds national de restauration des paysages. Selon les projections du ministère des Finances, ce mécanisme pourrait générer 40 milliards FCFA par an dès 2027.
En misant sur la diplomatie climatique, le Congo cherche autant à protéger son capital naturel qu’à repositionner l’Afrique centrale sur l’échiquier géopolitique. Le pari est ambitieux, mais la fenêtre d’opportunité se rétrécit ; les forêts du bassin demeurent, pour l’heure, le meilleur allié du climat mondial.