Une signature sous les dorures de Washington
Vendredi, sous les lambris du département d’État, les chefs de la diplomatie rwandaise et congolaise ont apposé leurs signatures sur un document présenté comme l’aboutissement de plusieurs mois de négociations discrètes. Le secrétaire d’État Marco Rubio, volontiers loquace sur le rôle de « facilitateur impartial », a salué un « jalon historique pour la stabilité des Grands Lacs ». À quelques encablures, depuis le Bureau ovale, le président des États-Unis s’est félicité de cette percée diplomatique, rappelant que « la paix nourrit la prospérité mutuelle ». L’occasion, pour Washington, de consolider un positionnement géostratégique sur ce théâtre longtemps dominé par d’autres partenaires extérieurs.
Des clauses sécuritaires aux contours mouvants
Le texte s’articule autour de deux promesses centrales : le respect mutuel de l’intégrité territoriale et la cessation des hostilités impliquant des acteurs non étatiques. Or, l’histoire récente de l’est de la RDC, théâtre d’une vingtaine de groupes armés, invite à la prudence. Si Kigali dément officiellement tout soutien au Mouvement du 23 Mars, Kinshasa maintient ses accusations, appuyées par plusieurs rapports onusiens. En miroir, le Rwanda exige depuis 2019 le démantèlement définitif des Forces démocratiques de libération du Rwanda, héritières idéologiques du génocide de 1994. La dialectique demeure inchangée ; seule la méthode évolue, grâce au parrainage américain et qatari.
Le volet économique, pierre d’achoppement
Moins médiatisé mais tout aussi déterminant, un chapitre consacré à « l’intégration économique régionale » prévoit la création d’un cadre de coopération sur la circulation des minerais stratégiques – cobalt, lithium, coltan – dont l’est congolais regorge. Si le président américain mise sur une diversification des chaînes d’approvisionnement occidentales, certains observateurs, à l’instar du Dr Denis Mukwege, dénoncent un risque de « légalisation du pillage ». Le gynécologue congolais, lauréat du prix Nobel de la paix, redoute qu’une manne financière allouée trop hâtivement à Kigali ne pérennise les asymétries économiques plutôt que de les résorber.
Entre velléités régionales et arbitrage international
Le Qatar, allié discret mais influent, s’est vu confier un rôle de médiateur technique, profitant de son capital diplomatique acquis lors de la Coupe du monde 2022 et de son ancrage financier sur le continent. Pour Doha, l’exercice s’inscrit dans une stratégie de « niche pacificatrice ». De son côté, la Banque mondiale planche déjà sur des instruments de garantie visant à sécuriser les corridors routiers et ferroviaires menant vers la Tanzanie et le port de Dar es-Salaam. L’objectif affiché consiste à dérisquer l’acheminement de minerais vers les marchés internationaux tout en ouvrant la porte à une logistique plus verte.
Les répercussions attendues pour Brazzaville et l’Afrique centrale
À Brazzaville, capitale congolaise sœur située sur la rive droite du fleuve, les chancelleries scrutent avec attention l’évolution du dossier. Le gouvernement dirigé par le président Denis Sassou Nguesso s’est toujours posé en artisan d’une diplomatie de bon voisinage, soutenant publiquement tout mécanisme susceptible de pacifier la région des Grands Lacs. Un conseiller du ministère congolais des Affaires étrangères confie, sous couvert d’anonymat, que « la stabilité à l’est profitera à l’ensemble de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, tant sur le plan sécuritaire que commercial ». Les plates-formes fluviales de Pointe-Noire et de Brazzaville pourraient en effet servir de relais logistiques si les couloirs d’exportation venaient à se diversifier vers l’Atlantique.
Vers quel scénario diplomatique post-signature ?
La feuille de route prévoit une conférence de suivi, rassemblant à Washington le président américain, Paul Kagame et Félix Tshisekedi. D’ici là, une mission mixte devra vérifier la mise en œuvre des engagements sécuritaires. Pour l’instant, aucune mention explicite de retrait de troupes rwandaises ne figure dans le document, fait remarquer le ministre rwandais Olivier Nduhungirehe, tandis que Kinshasa exige un calendrier précis. En coulisses, les équipes juridiques américaines explorent la possibilité d’adosser l’accord à une résolution du Conseil de sécurité, de manière à lui conférer une valeur contraignante.
En définitive, ce compromis signé au cœur de la capitale fédérale représente moins l’aboutissement d’un processus que le signal d’un nouveau pari diplomatique. Washington souhaite conjuguer deux temporalités : la sécurisation immédiate des populations de Goma et de Rutshuru, et la projection, à moyen terme, d’un couloir minier capable de remodeler l’équilibre énergétique mondial. Entre ambitions industrielles et impératifs humanitaires, la marge est étroite, mais la fenêtre d’opportunité demeure ouverte. Pour les capitales d’Afrique centrale, dont Brazzaville, maintenir le cap du pragmatisme et de la coopération régionale pourrait s’avérer la meilleure boussole dans la conjoncture actuelle.