Un mécanisme d’urgence activé à Brazzaville
Brazzaville connaît l’une de ses plus fortes mobilisations sanitaires depuis la pandémie de Covid-19. Le 26 août, la Croix-Rouge congolaise, épaulée par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, a déclenché un Fonds d’urgence contre le choléra.
Cette enveloppe, appelée DREF, doit financer des actions rapides de désinfection, de suivi épidémiologique et de sensibilisation, tout en assurant un accès temporaire à l’eau potable dans les zones où les infrastructures manquent, notamment sur l’île Mbamou, foyer actuel de la flambée.
Des chiffres alarmants mais une riposte structurée
Pour le directeur de cabinet du ministère de la Santé, Donatien Mounkassa, « le choléra est évitable et traitable ». Il insiste cependant sur la vitesse de propagation : environ 500 cas notifiés et 35 décès, soit un taux de létalité jugé préoccupant par les cliniciens.
L’activation du DREF correspond à une procédure rarement sollicitée dans le pays. Elle oblige la Croix-Rouge à remettre, sous 48 heures, une stratégie détaillée aux autorités, puis à rendre compte publiquement de l’utilisation des fonds, gage de transparence exigé par les bailleurs.
Soutien financier international et plan quadriennal
En première ligne, les volontaires congolais recevront des kits de protection, des vélos et des indemnités journalières. « Chaque minute perdue signifie un village exposé », rappelle Rosalie Oba, cheffe de mission terrain, qui salue l’arrivée d’experts logisticiens de la Ficr pour coordonner la chaîne d’approvisionnement.
L’Union européenne a d’ores et déjà débloqué 220 000 euros, soit près de 140 millions de FCFA. Pour Anne Marchal, cheffe de délégation à Brazzaville, cette contribution illustre « la solidarité mise en avant dans le Partenariat stratégique Afrique-Europe » et complétera les ressources nationales.
Le financement couvrira quatre mois d’activités ciblées : chlorination des points d’eau, réhabilitation de puits, distribution de solutions de réhydratation orale et formation du personnel soignant. L’objectif est de réduire le taux d’attaque de 10 % et de diviser par deux la mortalité.
Mbamou, épicentre sous surveillance
Sur l’île Mbamou, située au cœur du fleuve Congo, l’accès se fait uniquement par pirogue ; la logistique demeure un casse-tête. Les populations, habituées aux échanges avec Kinshasa, traversent quotidiennement le chenal, favorisant la circulation du Vibrio cholerae entre les deux capitales.
Les chefs communautaires réclament prioritairement des latrines publiques et des incitations financières pour limiter les déplacements non essentiels. « La prévention passe par l’amélioration du quotidien », affirme M’Pia Ngatsé, notable de Mbamou, convaincu qu’un soutien socio-économique freinera les contaminations.
Au-delà des districts riverains, des cas isolés apparaissent à Mossaka et Loukoléla, dans la Cuvette. Les autorités organisent des brigades fluviales afin de désinfecter les embarcations et contrôler les carnets de vaccination, une mesure déjà appliquée durant l’épidémie d’Ebola de 2014.
Communiquer pour prévenir
Le ministère de la Santé place la sensibilisation au centre de la riposte. Des spots radiophoniques en lingala et en kituba rappellent les gestes simples : bouillir l’eau, laver les mains avec du savon, couvrir les aliments. Une caravane culturelle mobilise également des musiciens populaires pour toucher les jeunes.
Les soignants saluent l’engagement du personnel politique. « Les autorités ont facilité l’approvisionnement en sérum physiologique en moins de 72 heures », souligne le docteur Élie Samba de l’hôpital de Makélékélé. Selon lui, la gestion concertée raccourcit déjà les délais de prise en charge.
Les épidémiologistes, eux, restent vigilants. La saison des pluies, attendue en octobre, risque d’inonder certaines latrines rudimentaires et de disperser les eaux usées vers le fleuve. Dans leurs modèles, un pic secondaire n’est pas exclu si la surveillance communautaire fléchit.
Coopération régionale et vision à long terme
Dans la sous-région, le Congo coopère étroitement avec l’Angola et la RDC, toutes deux confrontées au même agent pathogène. Des données en temps réel transitent par la plateforme Africa CDC, et des réunions hebdomadaires par visioconférence fixent des protocoles unifiés de traitement aux frontières.
Les experts du climat estiment que la fréquence accrue des épisodes El Niño pourrait multiplier les flambées hydriques dans le bassin du Congo. D’où l’importance, soulignent-ils, d’investir maintenant dans l’assainissement urbain et la surveillance microbiologique continue des cours d’eau.
Le gouvernement a déjà inscrit la reconstruction de 15 stations de traitement d’eau dans le Plan national de développement 2022-2026. Les financements proviendront d’un mixte emprunt-budget, cofinancé par la Banque africaine de développement. Les travaux, dont les appels d’offres sont ouverts, débuteront en janvier.
Vers un modèle durable de gestion des crises
Si le DREF constitue une réponse d’urgence, les spécialistes soulignent qu’il préfigure un modèle de coopération durable. Volontaires, administration et partenaires internationaux disposent d’indicateurs communs, alignés sur le Règlement sanitaire international ; un cadre qui pourrait être répliqué lors de futures urgences zoonotiques.
Pour l’heure, chaque cas suspect est référé aux centres de santé en moins de deux heures grâce à un numéro vert gratuit. Les équipes espèrent atteindre zéro nouvelle infection d’ici la fin décembre. La réussite dépendra autant des médecins que de l’engagement citoyen.
À Brazzaville, des étudiants en médecine lancent aussi des sessions gratuites de formation aux premiers secours dans les quartiers périphériques, renforçant le tissu de solidarité indispensable à toute riposte sanitaire.